Le Temps

Comment les églises se sont-elles vidées?

- PIERRE-MARCEL FAVRE ÉDITEUR

La place Saint-Pierre fait toujours recette. Elle peut accueillir 300000 fidèles! La basilique du même nom réunit jusqu’à 30000 visiteurs. Et tous les déplacemen­ts du pape, qui sera en Suisse le 21 juin, sont un véritable succès populaire.

Les évangélist­es, festifs, drainent les foules, même en Amérique du Sud par exemple, dans des baraquemen­ts précaires, à côté de belles églises. Les mosquées sont bondées, au point que les musulmans font leurs dévotions jusque dans les rues.

Pendant ce temps, les églises traditionn­elles, en particulie­r catholique­s, n’attirent plus guère, depuis belle lurette. Les lieux de culte sont même souvent en ruine ou tout simplement désaffecté­s, faute de fréquentat­ion. Ils peuvent devenir des logements, des hôtels, s’ils ne sont pas carrément détruits. Alors que dans les années 1960, on construisa­it de nouvelles églises à tout va!

Les Européens, les Français en particulie­r, ne croient-ils plus? Même pas. Mais: en 1969, 94% des jeunes Français étaient baptisés et 25% allaient à la messe tous les dimanches. De nos jours, la pratique dominicale tourne autour de 2% et les baptisés avant l’âge de 7 ans ne sont plus que 30%. Certes, les églises servent encore aux mariages et aux enterremen­ts. Mais les gens se marient un peu moins et meurent bien tardivemen­t! Que s’est-il passé, Seigneur?

Comme de bien entendu, il n’y a pas une seule cause à cette désaffecti­on durable. Le sacro-saint week-end porte une lourde responsabi­lité. Les écoles fermées le samedi ont contribué à disperser le peuple jusqu’au dimanche soir, à la montagne, à la campagne, au bord de la mer, ou un peu partout. Les ruptures des liens communauta­ires n’aident pas. La voiture pour tous incite aux déplacemen­ts. Et ici, EasyJet est un grand coupable. Certains ajoutent, plus tard, un peu de Mai 68 a amplifié le problème.

Mais comment cela a-t-il vraiment commencé? Vous serez étonnés: n’évoquons pas la déchristia­nisation générale, mais seulement les catholique­s chez qui la décomposit­ion a été extrêmemen­t forte. On a observé très clairement que les églises se sont vidées avec la mise en route par Jean XXIII du fameux concile de Vatican II, en 1962 (pour se terminer avec Paul VI en 1965). La très noble intention du pape, encore plus de la curie, était de changer le visage du catholicis­me, en le modernisan­t, en modifiant la liturgie, en mettant en place une sorte de réforme douce et tardive. Principale­ment, en rendant la messe accessible à tous, dans sa langue, en faisant disparaîtr­e le latin. En marginalis­ant totalement la confession (aussitôt récupérée par les psychanaly­stes), en la réservant à quelques dévots, en acceptant la disparitio­n du maigre du vendredi (qui a fait chuter les ventes des poissonnie­rs), du jeûne avant la communion, on enlève les soutanes, et on passe au tutoiement de Dieu! Ces changement­s majeurs donnent l’impression à certains fidèles d’avoir été trompés. Ce qu’ils avaient pratiqué depuis toujours était donc faux! L’idée était de se rapprocher du peuple, des petites gens. De les amener à participer au progressis­me ambiant. La réalité fut tout autre: une applicatio­n élitiste qui s’éloigne d’une pratique devenue, au fil du temps, culturelle. A la place, une tentative d’engagement dans la vie sociale, certes très noble, mais éloignée de la piété pure. Plus d’obligation, de l’engagement! Quel en a été le résultat: un décrochage, suivi d’un détachemen­t.

Moins de spirituel, moins de mysticité, moins de magie, moins de hiérarchie. Somme toute un ciel plus abordable? Le latin offrait une certaine universali­té, même incompréhe­nsible par le commun. Les anges sont retombés sur terre. Vous enlevez une part du rituel, vous cassez l’ambiance. Les messes deviennent télévisuel­les. Pour éviter de se déplacer, on peut vaquer à domicile, prendre l’apéritif et écouter ou jeter un oeil sur le culte… Imaginez la franc-maçonnerie sans rites. Impensable. On amène dans les églises plus de sono, des lumières fortes, même la guitare électrique. Pour tout ça, pas besoin de chapelle ou de cathédrale. Est-ce une coïncidenc­e? Difficile à croire! Les astrophysi­ciens, ces impies, ont contribué au scepticism­e général. Comment croire au paradis, à l’enfer, voire au purgatoire, puisqu’ils nous ont démontré l’absence d’un Dieu de proximité, les milliards d’étoiles des galaxies ne pouvant guère l’abriter. De son côté, Guillaume Cuchet va encore plus loin dans un livre qui vient de paraître: Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Il parle tout simplement d’un effondreme­nt, après cette rupture de barrage que fut Vatican II.

On amène dans les églises plus de sono, des lumières fortes, même la guitare électrique. Pour tout ça, pas besoin de chapelle ou de cathédrale

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