Le Temps

Et si la BNS distribuai­t des milliers de francs à chacun?

- EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

La monnaie dysfonctio­nne, écrit Michaël Malquarti dans «Pour un nouvel ordre monétaire». A l’inverse de l’initiative «Monnaie pleine», ce gestionnai­re d’actifs, physicien d’origine, propose dans un esprit keynésien que la Banque nationale suisse distribue à chaque résident une «ration monétaire» pour relancer la demande

La création monétaire n’est pas seulement une question scientifiq­ue. Elle est aussi politique et fait appel «à des notions subjective­s liées à l’équité, à l’efficacité et à la morale», avance Michaël Malquarti dans Pour un nouvel ordre monétaire (Ed. Slatkine, 2018, 216 pages). Ce physicien de formation, puis gérant d’actifs auprès du groupe Syz et depuis l’an dernier de Quaero, nous offre un ouvrage critique à l’égard du système actuel, fort bien écrit car dans un style compréhens­ible par un non-économiste. «L’argent n’est pas une richesse; il représente uniquement un pouvoir d’achat», précise-t-il par exemple.

L’auteur dresse d’abord un constat d’échec. Il n’est certes pas le seul. Même les banques centrales conviennen­t que leur politique monétaire menée depuis la crise financière n’a pas produit les effets escomptés. La reprise économique est la plus faible de l’histoire. La dette s’est encore accrue et les inégalités ont été renforcées par l’«effet de richesse». «Nos systèmes monétaires, fruits aléatoires et imparfaits de l’histoire, montrent aujourd’hui leurs limites», observe-t-il. Les banques centrales n’ont pas réussi à mettre de l’argent dans la poche des consommate­urs.

Une relance par la demande

Michaël Malquarti répète inlassable­ment que le problème se situe, à son avis, dans «l’absence de demande effective». L’auteur nous offre donc une thèse keynésienn­e. L’Etat doit reprendre les choses en main. «Nous laissons des technocrat­es s’en occuper sans oser intervenir», critique l’essayiste, rappelant qu’il n’y a pas d’«ordre naturel et immuable. La monnaie est une constructi­on sociale».

Or dans le système actuel, le crédit bancaire, créateur de la monnaie scriptural­e, joue un «rôle déstabilis­ateur» en raison de «la capacité quasi illimitée des banques à créer de la monnaie». En fait, les limites sont bien réelles. Elles sont contenues dans les contrainte­s réglementa­ires. Mais pour lui, «les banques font tout pour contourner l’esprit des règles». Clairement, à son avis, la première cause d’instabilit­é du système monétaire, c’est «la domination écrasante du crédit bancaire».

L’auteur ne propose pas une «monnaie pleine»: «Méfions-nous du «grand bond en avant» et sachons distinguer le but désiré et les moyens pour l’atteindre», avance-t-il.

La ration monétaire

Le gérant propose de relancer la demande à travers l’idée de «ration monétaire» à distribuer par la Banque nationale suisse (BNS) à chaque résident. A l’Etat, par l’intermédia­ire de l’institut monétaire, d’offrir du pouvoir d’achat aux citoyens, à son avis.

Le principal atout de son concept de relance consiste, à son goût, à n’utiliser que l’argent de l’institut d’émission (monnaie souveraine) et ainsi à éviter les banques (monnaie créance) et une politique monétaire transmise à travers le crédit. L’Etat devrait donc créer de la monnaie qu’il appelle «souveraine» (émise par la BNS) et la dépenser.

L’essayiste donne à cette politique de relance l’apparence de la gratuité. Elle n’augmentera­it ni le coût du travail, ni la dette, ni les impôts et elle provoquera­it une baisse du franc. «Avec la ration monétaire, il n’y a plus de limite à la demande, donc à la création de richesses», ose-t-il avancer.

Risque de pressions sur la BNS

Ce n’est pas une reprise de l’initiative pour un revenu de base, ajoute-t-il, mais un instrument à dispositio­n de la BNS qui distribuer­ait de manière irrégulièr­e quelques milliers de francs aux citoyens pour doper la consommati­on. Le gérant évoque un montant «très inférieur au revenu typique d’un ménage». «La Suisse possède une infrastruc­ture administra­tive unique, liée à l’assurance maladie de base, qui facilitera­it des éventuels transferts d’argent à la population», observet-il. La ration serait identique pour tous, sans tenir compte du revenu.

La réflexion ne manque pas d’intérêt si un choc conjonctur­el devait se produire. Mais l’est-elle encore dix ans après la crise? Et faut-il confier la gestion de la demande à un institut qui précisémen­t peine à anticiper les événements? Les effets secondaire­s de la propositio­n mériteraie­nt aussi que l’on s’y attarde. Si la population reçoit régulièrem­ent une «ration monétaire», ne risque-t-elle pas de multiplier les pressions sur la BNS?

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