Le Temps

Andreas Kubli: «L’innovation a besoin de l’humain»

Andreas Kubli, responsabl­e de la numérisati­on chez UBS en Suisse, déclare que la grande banque, un peu comme Amazon, vise à créer un écosystème pour le client. Il explique l’effet du scandale de Cambridge Analytica sur la banque

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

Le responsabl­e de la numérisati­on chez UBS en Suisse déclare que la grande banque vise à créer un écosystème pour le client. Il explique l’effet du scandale de Cambridge Analytica sur la banque.

A Paradeplat­z, des palettes en bois les unes sur les autres, pour former une petite estrade, «Digital Factory» écrit sur un mur, UBS fait tout pour sortir de l’image d’une banque traditionn­elle. Les esprits doivent se libérer pour innover, semble dire ce décor. C’est ici que nous rencontron­s Andreas Kubli, responsabl­e de la numérisati­on en Suisse, et Ziga Jakhel, coresponsa­ble de la «Digital Factory». Ils répondent aux questions du Temps.

Quelle est l’évolution de la clientèle sur la voie de la numérisati­on? Certains clients n’ont pas d’ebanking, d’autres ont à dispositio­n l’e-banking (affaires bancaires par internet) et le mobile banking (par smartphone). Ce sont les clients avec l’e-banking les plus intéressan­ts en termes de croissance avec, par exemple, une hausse annuelle de 17% en termes de chiffre d’affaires par client et de 260% en volume de nouvelles affaires. Ils sont également 38% moins nombreux à solder leur compte. Si nous parvenons à numériser les clients, non seulement ils sont, eux, plus satisfaits, mais aussi la banque.

Amazon ou Apple créent des écosystème­s. Qu’en est-il chez UBS? Nous voulons aussi créer un écosystème pour le client. Ce dernier peut choisir n’importe quelle solution sur n’importe quel format. Cela doit faire partie du même monde et être parfaiteme­nt connecté. Et, comme les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), nous ne construiso­ns pas chaque élément, mais travaillon­s avec des partenaire­s.

Avec quelles start-up coopérez-vous? Avec combien de capital? A des prises de participat­ion financière­s, nous préférons des coopératio­ns commercial­es. Je citerais SumUp, une start-up basée à Berlin, qui fabrique de petits appareils à connecter au smartphone et qui permettent ainsi un paiement par carte. Nous sommes responsabl­es de son marketing et des ventes en Suisse. Près de 20000 appareils ont déjà été vendus dans le pays. C’est un nombre élevé si l’on sait que l’on peut payer avec une carte de crédit dans quelque 90000 points de vente.

Comment intégrez-vous DSwiss dans le stockage numérique de documents? Nous l’avons intégré dans notre offre numérique et mobile. C’est un safe pour les documents UBS et pour tout ce que le client veut y déposer. J’y ai mis tous mes papiers importants (passeport, carte de caisse maladie, etc.) et tous mes mots de passe. C’est aussi sûr qu’un service d’UBS mais la technologi­e est celle d’une start-up qui est purement helvétique.

Vous avez beaucoup insisté sur l’enregistre­ment du client (online onboarding). Quelle est la prochaine étape? Vous parlez d’IDnow. Cette start-up de Munich se concentre sur l’identifica­tion du client dans le cadre de son enregistre­ment. C’est un logiciel qui identifie la personne par vidéo. Les données sont propriété d’UBS et c’est notre personnel qui fait l’identifica­tion, mais la technologi­e vient de la start-up.

L’enregistre­ment (online onboarding) a totalement changé chez UBS. Historique­ment, tout se faisait à l’agence UBS. Le document papier était rempli, puis signé par le client. Il était scanné et contrôlé. Si quelque chose manquait, le client devait revenir au guichet. Dans une phase électroniq­ue aujourd’hui révolue, le client devait encore imprimer le document électroniq­ue et le renvoyer. Aujourd’hui, tout fonctionne comme un achat sur internet avec un système de contrôle par case à remplir.

Au début, nous avons constaté que le client ne voulait peut-être pas venir au guichet. Nous avons donc créé une app et le jour où la Finma a changé la loi, nous avons pu présenter une solution. Mais le client devait toujours remplir un formulaire avec sa signature. Aujourd’hui, le client peut signer le document sur son portable. Il n’y a plus de papier. Nous allons maintenant plus loin. La même idée peut être reproduite pour d’autres canaux de distributi­on ou d’autres segments, par exemple pour les entreprise­s.

Qu’avez-vous changé dans la mise en oeuvre des nouvelles idées chez UBS? Nous avions différente­s équipes réparties en plusieurs endroits. Par exemple une agence de graphisme à Saint-Gall avec des bureaux à Zurich et une partie du travail délégué à Belgrade, ainsi que des services informatiq­ues internes à Zurich et externes dans un autre endroit.

Maintenant, nous produisons le tout selon une autre approche. Nous plaçons toutes les personnes qui peuvent participer à la solution d’un problème dans une même salle. Le contact personnel est nettement préférable à l’envoi d’e-mails. Les réponses sont immédiates. C’est le principe de colocation. Mais le principal changement est venu de l’introducti­on du principe d’agilité.

De quoi s’agit-il? L’idée consiste à avancer pas à pas selon une approche dynamique. Le plan est précis pour les deux prochaines semaines, mais plus flou pour la suite. Toutes les deux semaines, les priorités sont ainsi adaptées, parce que le monde et les exigences du client ne cessent de changer. Nous ne savons pas à quoi ressembler­a le monde dans dix ans. C’est pourquoi nous avons besoin d’une méthodolog­ie dynamique. Nos cycles de développem­ent se raccourcis­sent à deux semaines. Tous les quinze jours, nous avons donc un produit qui pourrait être rendu public. Mais une banque se distingue cependant par ses exigences réglementa­ires et sa gouvernanc­e. Nous publions des nouveautés tous les un à deux mois. Avec l’approche «agile», le personnel au contact du client dispose d’un plus grand pouvoir de décision. Le «client» ne se résume toutefois pas au client final. Il faut aussi prendre en compte le conseiller à la clientèle et le collaborat­eur du back-office qui aura un contact indirect et permettra aussi d’améliorer la satisfacti­on du client final.

Dans le passé, les services informatiq­ues produisaie­nt toute l’innovation. Nous ajoutons d’autres entités, des conseiller­s à la clientèle aux services juridiques. C’est une autre culture. Chacun cherche une solution pour le client.

Si l’on sait que la «Digital Factory» d’UBS à Zurich comprend 350 collaborat­eurs, est-ce que ce nombre comprend des juristes, banquiers et informatic­iens? Oui, tous ces métiers intègrent la même méthode innovante dans la «Digital Factory». Les services informatiq­ues comptent environ 5000 employés, dont environ 300 avec les nouvelles méthodes agiles.

Auparavant, on essayait de construire un couteau suisse parfait, avec toutes ses fonctionna­lités. On attendait quatre ans jusqu’à sa naissance. Avec l’approche agile, on commence avec un couteau relativeme­nt simple et on ajoute des fonctionna­lités en lien avec la satisfacti­on du client. On teste et on apprend.

D’où viennent les nouvelles idées? Des partenaire­s? Il faut rester ouvert et observer ce qui se passe, en Suisse et ailleurs. Avec l’extérieur, nous avons différents partenaria­ts. Et nous parlons non seulement avec des start-up mais aussi avec les clients de la banque et les fournisseu­rs. La question est de savoir ce que l’on veut construire, comment investir et avec quel plan. Je suis un ancien de McKinsey, c’est une bonne base pour une approche stratégiqu­e.

Est-ce qu’UBS souffre du retard de la Suisse dans l’adoption de la numérisati­on par rapport à l’Europe du Nord ou à l’Asie? La Suisse se situe au milieu du peloton. Les pays les plus avancés sont les pays nordiques, de la Suède au Danemark ou l’Estonie. Les pays anglo-saxons ne sont pas systématiq­uement en avance. Dans les paiements mobiles, c’est l’Afrique qui a donné le ton.

Il est vrai qu’en Suède, 90% des succursale­s n’ont plus d’argent liquide. Cette différence avec la situation suisse est une chance. Nous pouvons en tirer les leçons et reprendre les meilleures idées. Les innovation­s sont souvent mises en oeuvre dans une banque de détail en raison de l’effet d’échelle et du fort degré de numérisati­on. Mais un client de gestion de fortune doit aussi effectuer des paiements et profiter des expérience­s d’autres métiers.

Avec combien de start-up est-ce que vous travaillez? Nous parlons avec beaucoup de start-up, assistons à de nombreuses présentati­ons, mais nous sommes en relation d’affaires avec une dizaine de sociétés.

Seulement dix start-up? Oui, mais il s’agit de relations commercial­es exigeantes. Qu’avez-vous appris des échecs de certains projets que vous avez démarrés et qui n’ont pas abouti? Dans l’enregistre­ment de nouveaux clients (onboarding), même si les heures d’accès sont prolongées et le temps d’enregistre­ment nettement plus court qu’au guichet, 90% des nouvelles relations-clients sont encore réalisées dans une agence. D’une certaine façon, nous avons surestimé le client. Pour moi, c’est une chance. Nous pouvons utiliser les processus automatisé­s simplifiés qui étaient prévus pour l’«online onboarding» directemen­t dans l’agence.

En matière de blockchain et d’intelligen­ce artificiel­le, que peuvent attendre les clients de l’innovation? La simplifica­tion de leurs affaires bancaires touchera d’autres services que l’enregistre­ment. L’innovation s’est centrée jusqu’ici sur de nouvelles applicatio­ns et de nouveaux services permettant une plus grande autonomie du client. A l’avenir, la numérisati­on incorporer­a des processus complets et non plus des app.

Le responsabl­e de la relation avec le client jouera un rôle très important à l’avenir parce que le client veut un contact humain. Le soutien doit être technologi­que et humain. Nous offrirons des services automatisé­s qui intégreron­t une composante humaine.

Dans les investisse­ments bancaires, quelles technologi­es changeront le monde? L’intelligen­ce artificiel­le et l’analytique jouent un rôle majeur, de plus en plus important. Avec UBS Advice, les portefeuil­les sont analysés et supervisés chaque nuit sans interventi­on humaine. Ce n’est plus le gestionnai­re qui, en fonction d’un éventuel choc sur un marché précis, se rappelle que c’est le client Martin ou Dupond qui est concerné. Tout est effectué par ordinateur, même si le conseiller est toujours à dispositio­n pour donner son soutien.

C’est la situation actuelle, mais qu’attendre de l’avenir proche? L’étape suivante, pour la machine, consistera à déterminer avec quel client, à quel moment, sur quel sujet de préoccupat­ion et avec quel conseil il faut communique­r. La conversati­on sera individual­isée.

Et en matière de sécurité? L’intelligen­ce artificiel­le sera également utilisée dans le cadre de la détection d’anomalies. Si un client effectue une transactio­n sur son smartphone et tape sur son écran autrement que d’habitude, la machine lancera un avertissem­ent qui obligera à réaliser un contrôle. Si nous sommes capables d’identifier les transactio­ns correctes, nous pourrions aussi supprimer certains tests de contrôle et ainsi améliorer le confort d’utilisatio­n (convenienc­e).

En quoi le scandale de Cambridge Analytica a impacté UBS? Nous avons développé un safe qui est aussi disponible via smartphone. Il s’agit d’une applicatio­n qui permet de conserver tous les documents bancaires envoyés au client plutôt que de lui envoyer des e-mails. Le safe offre aussi la possibilit­é de télécharge­r des documents personnels. Toutes les cartes d’identité de ma famille y sont incluses. Si je suis à l’étranger et que mon portefeuil­le est volé, j’ai ainsi au moins ma carte d’identité avec moi. Elle n’est pas sur un compte de messagerie que l’on peut pirater mais dans mon safe, sur le smartphone. Mes mots de passe importants sont aussi là.

Ces derniers temps, les télécharge­ments ont fortement augmenté. Je peux bien m’imaginer que ces événements accentuent l’attention du client sur l’utilisatio­n des données.

«Dans le passé, les services informatiq­ues produisaie­nt toute l’innovation. Nous ajoutons d’autres entités, des conseiller­s à la clientèle aux services juridiques»

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(MARC LATZEL POUR LE TEMPS) Andreas Kubli: «Il faut rester ouvert et observer ce qui se passe, en Suisse et ailleurs.»

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