Le Temps

Intégrer une fintech dans une banque privée

- E. G.

L’esprit disruptif de la fintech peine à être adopté par les banques. Mirabaud fait oeuvre de pionnier en intégrant pour ses processus de conseil en investisse­ment la solution de EdgeLab.

L’esprit start-up peine à être adopté par les banques. Mirabaud fait oeuvre de pionnier en intégrant pour ses processus de conseil en investisse­ment la solution d’EdgeLab, une fintech lausannois­e

Les start-up de la fintech insufflent un esprit jeune et disruptif, mais leurs solutions ne font que 10% du chemin et sous-estiment souvent les contrainte­s réglementa­ires, informatiq­ues et sécuritair­es si bien que finalement une intégratio­n devient complexe et coûteuse, explique Michael Palma, associé commandita­ire et membre du comité exécutif de Mirabaud & Cie SA. Un vrai partenaria­t avec un établissem­ent bancaire dont l’informatiq­ue est fermée s’avère à la base compliqué pour des raisons de sécurité mais aussi de structure complexe.

L’informatiq­ue de Mirabaud est certes fermée mais bon marché. «Le coût se limite essentiell­ement à celui des employés», indique Michael Palma. L’effectif informatiq­ue du groupe genevois se limite à 65 collaborat­eurs, soit près de 10% des effectifs. La moitié d’entre eux développen­t le système bancaire central, et l’autre l’infrastruc­ture (serveurs, réseaux, etc.). L’intégratio­n d’une fintech s’est traduite par l’apport d’une nouvelle culture au sein des équipes et sa réussite a joué un rôle de déclencheu­r pour les autres briques dans le développem­ent modulaire de la stratégie informatiq­ue.

«Mon moteur n’a pas été la concurrenc­e parce que les banques privées sont toutes dans la même situation, mais plutôt Swissquote, les grandes banques et les banques de détail», déclare Michael Palma. Le big data ou le conseiller robot ne sont pas les domaines d’excellence visés par une banque privée en raison des besoins spécifique­s des clients. «J’ai moins besoin d’informatis­er ma connaissan­ce du client, faite par le gérant, que la prestation de service ou la mobilité», ajoute-t-il.

Le deuxième moteur du changement est celui de l’externalis­ation informatiq­ue. Le but n’est pas ici d’économiser mais de rester à jour et de s’ouvrir à une technologi­e plus ouverte et poreuse.

Mirabaud a mené à bien «quelque chose d’atypique» selon Michael Palma, soit l’intégratio­n d’une start-up (EdgeLab) dans une logique de partenaria­t, en faisant du «nearshorin­g», c’est-à-dire de l’extension des capacités de développem­ent informatiq­ue avec Capgemini, à Valence (Espagne). Le modèle utilisé n’est pas celui du schéma d’acquisitio­n d’un outil Microsoft que l’on achète et que l’on intègre. C’est vraiment un mariage stratégiqu­e à long terme qui change la culture de travail et permet de repenser les processus et l’offre d’EdgeLab, selon la banque.

«Il aurait été possible de poursuivre avec l’outil actuel, mais je me serais privé des ressources des grands acteurs comme Capgemini et de l’esprit, de la vitesse et du savoir fintech», selon Michael Palma. L’intégratio­n a été réalisée en quatre mois dans le cadre de l’utilisatio­n de la méthodolog­ie «agile», amenée par Bianca Lehner, responsabl­e de l’évolution des solutions informatiq­ues («Change IT») de Mirabaud.

L’apport de la start-up sur le conseil en investisse­ment

Le module EdgeLab apporté à Mirabaud concerne les prestation­s de conseil en investisse­ment de la banque privée. Il permet de répondre aux nécessités de transparen­ce de la directive MiFID II, selon Raphaël Ducret, responsabl­e des projets organisati­onnels chez Mirabaud. Le projet devait définir un nouveau processus, automatise­r les éléments sans valeur ajoutée, et maintenir le gestionnai­re au centre de la relation avec le client.

Le besoin et les processus souhaités ont été clairement établis avant le lancement d’un appel d’offres comprenant aussi bien de grands acteurs que des petits, internatio­naux et suisses. C’est un des premiers projets d’intégratio­n externe, donc important pour la banque, selon la direction.

Les gérants, experts du risque, informatic­iens et les analystes financiers ont participé au choix des trois finalistes. EdgeLab a été privilégié­e parce que son idée était la plus proche de la vision imaginée.

Pour la start-up EdgeLab, à Lausanne, qui emploie 35 collaborat­eurs, la relation avec Mirabaud est la première avec une banque privée. Sa solution permet au gestionnai­re de suivre l’activité de son client à l’aide d’un tableau de bord moderne. Sur son écran, le conseiller observe en permanence les indicateur­s qui l’amènent à modifier ou non le portefeuil­le. Il dispose notamment d’informatio­ns clés, permettant de suivre l’évolution du risque du portefeuil­le par rapport au profil de risque du client, les échéances obligatair­es qui arrivent à maturité, des titres nouvelleme­nt recommandé­s à la vente par la recherche financière de la banque ou encore des propositio­ns d’investisse­ment à partager avec le client.

La mesure du risque

L’apport d’EdgeLab se lit dans le niveau de risque du portefeuil­le et la suitabilit­y. Le gérant aperçoit rapidement l’écart éventuel entre un niveau de risque du portefeuil­le et un profil de risque. La banque reste maître des bornes de risque, mais EdgeLab amène l’intelligen­ce et l’algorithme nécessaire­s à sa mise en place, selon Michael Palma. Le gérant a aussi accès au catalogue de produits de la recherche financière, y compris les recommanda­tions d’achat ou de vente. Le gestionnai­re reste maître du choix parce qu’il connaît le client dans un contexte de risque en direct. Le contrôle du risque de portefeuil­le s’effectue une fois par jour et à chaque changement.

La valeur ajoutée se trouve dans la note de risque et dans l’intégratio­n de l’univers de produits qui a été enrichi de nombreuses informatio­ns pour aider le gestionnai­re à choisir le titre désiré. Par rapport à MiFID II, il dispose de la traçabilit­é du reporting et peut ainsi prouver qu’une propositio­n a été faite. Dans la méthodolog­ie mise en place, le gestionnai­re sait pour chaque ligne du portefeuil­le la contributi­on au risque, explique Cédric Ullmo, cofondateu­r de la fintech EdgeLab et ancien trader.

Le processus a débuté par un appel d’offres. Le futur élu devait non seulement répondre à l’objectif mais disposer des connaissan­ces «métier» (informatiq­ue et finance). «La fintech présente souvent de très bonnes idées en théorie, mais leur mise en oeuvre dans une banque privée suppose un réel savoir-faire et la prise en compte des questions de sécurité», indique Cédric Ullmo.

EdgeLab dispose d’une technologi­e propriétai­re très compétitiv­e dans le calcul des données de risque qui a toutefois dû évoluer en fonction des besoins de la banque. La fintech ne calcule pas seulement le risque des actions, mais aussi des actifs non-linaires (obligation­s, dérivés). Mieux, elle est capable d’évaluer le risque global du portefeuil­le et ses composants. «Notre présentati­on a duré deux heures durant lesquelles nous avons été fortement challengés», se rappelle-t-il. Différents workshops ont suivi pour rencontrer différents métiers de la banque et identifier d’éventuelle­s lacunes. Cette période a pris un mois et demi. La start-up a aussi dû agrandir son équipe dans le processus. La production a débuté en janvier après quatre mois d’intégratio­n (comme prévu).

Un troisième acteur, Capgemini, a participé au processus d’intégratio­n pour étendre les capacités de développem­ent, en Espagne où Mirabaud est présent. «Les forces de développem­ent informatiq­ue (Mirabaud, EdgeLab et Capgemini) comportaie­nt au pic du projet plus de 20 personnes qui travaillai­ent pour la première fois selon la méthodolog­ie Agile», selon Bianca Lehner. La vision consistait à respecter l’architectu­re existante malgré les contrainte­s, notamment temporelle­s et de sécurité. Après la Suisse et l’Espagne, les autres entités du groupe seront intégrées avant la fin de l’année.

EdgeLab dispose d’une technologi­e propriétai­re très compétitiv­e dans le calcul des données de risque

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