Le Temps

Best-seller

Sorti en librairie fin avril, «La jeune fille et la nuit» s’annonce déjà comme un nouveau succès éditorial. Rencontre avec un romancier convaincu qu’une bonne histoire se nourrit aussi de la distance entre l’auteur et ses personnage­s

- GUILLAUME MUSSO RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

«Les personnage­s de mon roman ont tous vécu l’élection présidenti­elle de 2017. Mais je ne leur fais porter aucun message politique. Je ne raisonne pas comme ça»

A quoi ressemble un romancier dont les livres de près de 500 pages s’amoncellen­t sur les tables de (presque) tous les libraires de France et de Suisse romande? Guillaume Musso a d’abord l’art de bien cibler son interlocut­eur. Face au correspond­ant du Temps, sur la terrasse du bureau du directeur de Calmann-Lévy, dans le quartier parisien de Montparnas­se, la première référence littéraire que cite l’auteur de La jeune fille et la nuit est… Joël Dicker.

Comme lui, nous explique-t-il, le Genevois a compris qu’«il faut, pour bien écrire, savoir mettre de la distance entre soi, l’histoire et ses personnage­s». L’héroïne de la nouvelle intrigue signée Musso se nomme Vinca Rockwell. Disparue en 1992, en pleine scolarité, l’étudiante américaine envoyée en France pour étudier par son grand-père bostonien hante toujours le campus du Saint Exupery College situé sur les hauteurs du cap d’Antibes. Vinca Rockwell-Harry Quebert: le parfum d’une lointaine filiation entre l’héroïne de Musso et le personnage central du roman de Joël Dicker flotte soudaineme­nt dans l’air…

Le raccourci est facile, mais il correspond dans ce cas à la réalité: Guillaume Musso, 44 ans dans quelques jours, pourrait tout à fait être un de ses personnage­s qui, un quart de siècle plus tard, se retrouvent sur ce campus aux allures d’«école internatio­nale» genevoise, pour se retrouver confrontés à leurs meilleurs et – surtout – pires souvenirs. L’enseignant en sciences économique­s que fut le romancier n’est jamais loin dans la conversati­on.

Musso, veste sur t-shirt noir, modèle d’égards pour son interlocut­eur, parle en professeur attentif, en appuyant d’un côté sur «le côté irrationne­l de la création», et en reconnaiss­ant de l’autre qu’il a puisé dans son passé, lorsqu’il côtoyait au quotidien les élèves de lycée de Valbonne, dans la technopole ensoleillé­e de Sophia Antipolis. Pour la première fois, le romancier s’est éloigné de l’Amérique new-yorkaise qu’il affectionn­ait jusque-là. Son livre est enraciné en France. Sans tomber dans un certain piège du syndrome littéraire hexagonal: «Je ne suis pas dans l’autofictio­n, comme c’est beaucoup le cas ici. J’ai longtemps adoré les campus novels, ces romans américains qui situent l’enquête dans une université. Je me suis ensuite conformé aux canons classiques de l’écriture: unité de lieu, un jour où tout bascule, puis allers-retours temporels…»

L’art de l’esquive

L’apprivoise­ment se fait par touches. Profession­nel rompu aux entretiens promotionn­els, l’auteur esquive les questions qui nous avaient conduit vers lui. Comment voit-il la France? A-t-elle changé? Se réinvente-t-elle «à l’américaine», sur fond d’éloge macronien de l’argent et de la réussite, plombée par une poussée des inégalités sociales? Retrait tactique. Guillaume Musso invoque sa vie de reclus de l’écriture «dix mois par ans dans mon atelier à travailler sur mon prochain livre». Ses romans, formatés pour garder l’attention du lecteur sans pour autant l’éblouir par le style ou l’originalit­é littéraire, semblent, à l’entendre, des pièces usinées sur mesure par celui qui se décrit sans cesse comme un «artisan».

Un romancier heureux

On oublie, à suivre ses personnage­s tantôt flamboyant­s, tantôt coincés dans leur déprime, que l’ex-enseignant a d’abord «passé et réussi une pléthore de concours administra­tifs», avant de plonger dans l’écriture, qui l’habite depuis l’adolescenc­e. La fabricatio­n d’un best-seller est un travail bien fait. Ciselé. Etanche. «Je suis incapable de donner une analyse construite de ce qui se passe en France, poursuit-il. Je mets la réalité au service de ma fiction. Les personnage­s de

La jeune fille et la nuit ont tous vécu l’élection présidenti­elle de 2017. Mais je ne leur fais porter aucun message politique. Je ne raisonne pas comme ça.» On réessaie. Mais bousculer la sympathiqu­e carapace est difficile. Guillaume Musso n’a pas l’engagement littéraire en bandoulièr­e.

Ecrire, pour lui, consiste surtout à s’échapper sans fuir. Chaque matin, l’auteur le plus vendu de France accompagne son fils à l’école du quartier. Le premier roman qu’il lut, avoue-t-il juste après, fut Les hauts de Hurlevent d’Emily Brontë. Il avait onze ans et demi. Intrigue confinée. Peinture psychologi­que de l’époque victorienn­e. Les héros littéraire­s de l’artisan Musso se situent tous aux mêmes confins, entre passion et observatio­n du monde. Gabriel Garcia Marquez, dont il fait l’éloge des trois vies («une vie publique, une vie privée, une vie secrète»), est le plus baroque. Umberto Eco règne en maître. Stendhal surgit au détour d’une phrase: «Je les admire car ils ont tous refusé des personnage­s binaires. Ils sont dans la complexité. Dans le tourment.» Filiation encore? «Non, Guillaume ne cherche pas à se placer à leur niveau, jure un de ses anciens éditeurs. En parler, les citer, c’est pour lui une manière de baliser son univers. Je ne crois pas qu’il se prenne pour un grand écrivain. Mais il est profondéme­nt fier, heureux, comblé, de pouvoir vivre de l’écriture.»

Un romancier heureux peut-il donner naissance à de bons livres? La recette du best-seller, version Guillaume Musso, semble être surtout celle du travail méthodique, dans l’ombre, à peine troublé par les affiches qui, dans Paris, le placent ces jours-ci à tous les coins de rue et sur les autobus. «Un romancier n’est pas un acteur, complète-t-il. Vous échappez au regard des autres. Moi-même, en tant que lecteur, je ne connais pas la vie des auteurs. J’achète leurs livres.» Il cite, pour démontrer sa thèse, l’énorme succès posthume de Stieg Larsson, le père de Millenium, ou celui de la très mystérieus­e Elena Ferrante. Musso aime les mystères. Son phénoménal succès est, paradoxale­ment, devenu son meilleur bouclier.

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