Piers Faccini, le chant du monde porté par une voix chamanique
Le musicien anglo-italien se produit cette fin de semaine en compagnie de jeunes étudiants de la Haute Ecole de musique de Lausanne, où il enseigne le songwriting
A la sortie de son premier album, Leave No Trace en 2004, d’aucuns l’ont décrit comme le nouveau Nick Drake. Son folk épuré et sa voix cotonneuse évoquaient en effet indéniablement la musique du chanteur anglais, auteur de trois albums majeurs avant sa disparition tragique en 1974, à l’âge de 26 ans seulement. Quatorze ans plus tard, il est luimême devenu une référence: on ne parle plus de Piers Faccini comme d’un héritier de Nick Drake, ce sont au contraire de jeunes musiciens qui s’en inspirent. «C’est chouette quand les gens commencent à te citer comme une influence, sourit l’intéressé. Ça veut dire que j’ai réussi à construire mon propre univers.»
Cet univers, après trois premiers enregistrements participant au renouveau folk des années 2000, s’est au fil du temps enrichi de sonorités empruntées aux musiques africaines et moyen-orientales. Le baroque l’inspire aussi, tout comme les chants du bassin de la Méditerranée. Piers Faccini parle comme il chante, tout est chez lui douceur et bienveillance. «Ce qui m’intéresse, c’est le côté presque chamanique de la voix; la chanson comme une complainte, comme un cri universel, quelque chose de cérémonial. C’est pour cela que j’adore les musiques traditionnelles, quand il y a un lien avec le sacré. Composer un morceau, c’est jongler avec les influences.»
Cette faculté d’échapper à toute catégorisation hâtive, Piers Faccini la tient de ses origines. Un père italien, une mère anglaise, une enfance passée en partie en France. La musique est pour lui un moyen d’exorciser ce qu’il ressent. «A un moment, il y a un trop-plein et il faut se libérer des informations émotionnelles que l’on a accumulées. Chez moi, ça sort en chansons, parfois en poèmes. Enfant déjà, je peignais, je dessinais; l’art m’a toujours permis de me sentir plus léger, de parler de tout ce qui m’arrivait, même de ce qui pouvait être traumatique.» Il y a chez cet artiste, dans la manière dont il évoque très simplement son travail, une indéniable envie de partage, de transmission. Pas étonnant, dès lors, de le voir animer un cours de songwriting à la Haute Ecole de musique de Lausanne (HEMU).
Cette fin de la semaine, certains de ses élèves vont se frotter à la scène: le Bourg lausannois et la Ferme Asile sédunoise accueillent vendredi et samedi deux concerts qui le verront jouer en compagnie de son batteur attitré, Simone Prattico, mais aussi du HEMU Pop Ensemble. A savoir deux bassistes, deux guitaristes, deux batteurs, un pianiste et une chanteuse qui se relayeront pour servir le répertoire de leur aîné. «J’ai essayé de trouver, au sein de mes huit albums, des morceaux qui convenaient aux uns et aux autres. Le but était de les faire travailler autrement, d’autant plus qu’on a répété sans micro, avec l’obligation pour eux de jouer au niveau de la voix, d’être à la fois dynamiques et acoustiques.»
Piers Faccini enseigne la musique, mais il ne l’a jamais apprise. Il est autodidacte et trouve d’autant plus courageux que l’HEMU reconnaisse son travail. Il parle de jonglage, mais se compare aussi à un agriculteur. «Une chanson, c’est comme la terre. Il faut la remuer, mettre une graine, l’arroser, s’en occuper. J’ai une manière de travailler artisanale et non théorique.» A travers son enseignement, il essaie de décomplexer les élèves par rapport au processus créatif, de les pousser à plus de spontanéité et d’expérimentation. «Il faut qu’ils tentent des choses, même s’ils se cassent la gueule. Je veux leur montrer qu’ils peuvent tous écrire des chansons, même s’ils ne vont pas tous devenir des Gainsbourg ou des Dylan. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils prennent l’habitude de travailler comme un céramiste qui tous les jours tourne sa roue pour façonner ses pots. Etre songwriter, ça ne veut pas dire composer le soir à minuit quand on a le coeur brisé…» Provoquer l’inspiration plutôt que de l’attendre.
Si Piers Faccini avoue ne pas savoir lire la musique, il a par contre étudié, à Paris, les beauxarts. C’est d’abord comme peintre et plasticien qu’il se fait connaître, tout en composant pour la télévision anglaise. Lorsqu’il se voit offrir l’opportunité d’enregistrer ses chansons dans un studio professionnel, il décide de tenter l’expérience. Ce qu’il pensait n’être qu’une parenthèse se transforme alors en carrière à la suite de l’accueil critique unanime qui entourera la sortie de Leave No Trace, avec à la clé une tournée d’une soixantaine de dates. «Depuis que j’ai 21 ans, j’ai toujours pu vivre, même si c’est parfois très modestement, en faisant de l’art ou de la musique. J’ai de la chance, car je n’ai fait que me laisser porter par le courant.»
Il dit encore qu’il est important pour un musicien de ne pas se répéter. Aux élèves de l’HEMU, il explique la nécessité de développer un sens critique: «Quand on écrit pour la première fois, tout est vierge; mais après, il faut avoir la capacité d’analyser son propre travail, de voir si on réutilise les mêmes tempos ou les mêmes suites harmoniques, si on développe les mêmes sujets.» Trouver son univers peut prendre du temps. Tout songwriter doit être patient s’il veut un jour accéder «à quelque chose de mystérieux et de poétique». Car finalement, «une belle chanson est une chanson qu’on ne peut pas décrire.»
«Une chanson, c’est comme la terre. Il faut la remuer, mettre une graine, l’arroser, s’en occuper. J’ai une manière de travailler artisanale et non théorique»