Le Temps

Les pom-pom girls rattrapées par #MeToo

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

PAILLETTES C’est une tradition iconique de la culture américaine qui illuminait le sport. Mais, avec le temps, le statut d’athlète acrobate a glissé peu à peu vers celui d’objet sexuel. Aujourd’hui, retour de bâton, la vague #MeToo a rattrapé les pom-pom girls. Fin de partie?

Après les «grid girls» des sports mécaniques et les hôtesses des podiums cyclistes, la vague #MeToo s'étend aux pom-pom girls, auxquelles l'équipe de NBA des San Antonio Spurs vient de renoncer. Il n'y a pas si longtemps, ce rôle était pourtant réservé aux hommes

C'est fini. Elles n'agiteront plus leurs crinières en faisant vibrer leurs brassières lors des matches des San Antonio Spurs. Les Silver Dancers, troupe de pom-pom girls sans pompons, formée en 1991, ne se déhanchero­nt plus sur les terrains de basket dès la prochaine saison. Elles seront remplacées par une nouvelle troupe d'animation plus «familiale». Comprenez surtout: moins sexy.

La décision prise par Spurs Sports & Entertainm­ent a fait couler des larmes au sein de la troupe. Depuis plusieurs jours, ses membres déversent leur incompréhe­nsion, déception et rage sur les réseaux sociaux. Le choix, peu expliqué, n'est pas sans lien avec le mouvement #MeToo, qui a mis en lumière des scandales d'abus sexuels.

Rien de tel pourtant du côté des Silver Dancers et des Spurs. Au Washington Post, la chorégraph­e Rosalyn Jones, qui a fondé la troupe, ne cache pas être très peinée par le choix de l'équipe de basket: «Nous sommes, à San Antonio, dans un marché très conservate­ur, les dirigeants de l'équipe ont toujours fait très attention au look des filles […]. Mais je n'ai jamais rien vu ou entendu de vulgaire, les danseuses sont toutes des profession­nelles qui connaissen­t les règles et qui savent qu'elles sont des ambassadri­ces des Spurs.»

Des séances photos topless

La situation est moins glorieuse ailleurs. Les pom-pom girls des Washington Redskins, une équipe de football américain, ont, en 2013, été emmenées au Costa Rica dans un «hôtel réservé aux adultes» pour poser pour un calendrier. Certaines affirment aujourd'hui qu'elles ont aussi été contrainte­s de poser seins nus, devant des spectateur­s, dont des sponsors de l'équipe. Des langues ont commencé à se délier, certaines filles dénonçant les «extras» qu'on leur suggérait de faire. Les cheerleade­rs des Redskins n'ont témoigné de cette affaire qu'il y a quelques jours, au New York Times, portées par #MeToo. Chez les Dolphins de Miami et les Saints de La Nouvelle-Orléans, deux autres équipes de la National Football League (NFL), l'heure est plus grave: des plaintes ont été déposées pour discrimina­tion sexuelle.

Ronald Reagan et George W. Bush

La suppressio­n des Silver Dancers marque-t-elle un tournant dans ce qui reste une tradition iconique de la culture américaine? Si les San Antonio Spurs deviennent la première franchise de NBA à se débarrasse­r de son groupe de cheerleade­rs, des équipes de la NFL ont fait ce choix il y a plusieurs années déjà. Les Steelers (Pittsburgh) avaient par exemple leurs Steelerett­es de 1961 jusqu'en 1969, avant d'y renoncer; les Chicago, leurs Honey Bears, de 1977 à 1985. D'autres équipes ont tout simplement décidé de ne jamais y recourir.

C'est le cas, par exemple, des Lions (Détroit). Ils ont ainsi échappé à la féminisati­on croissante et à l'érotisatio­n de ces pom-pom girls, passées du statut d'athlètes-acrobates au rang d'objets sexuels. Plus le temps avançait, plus les jeunes filles, censées en premier lieu divertir le public, l'encourager à soutenir l'équipe et ainsi canaliser une potentiell­e agressivit­é, ont vu leurs tenues se raccourcir.

Les Cowboys de Dallas y sont pour quelque chose. Ce sont eux qui ont, en quelque sorte, lancé le mouvement, en 1972, en imposant des filles à la silhouette sculptural­e, affublées de hauts moulants et de go-go boots. Ces filles aux poses lascives, expertes lorsqu'il s'agit de mettre en valeur leur chute de reins, ont véritablem­ent explosé lors du Super Bowl de 1976, entraînant aussitôt leur lot d'aficionado­s et de détracteur­s. Certaines équipes ont senti le bon filon commercial en vendant des calendrier­s sexy et en assumant leur univers machiste. Avec #MeToo, on assiste aujourd'hui à une sorte de retour de bâton.

Cette évolution est relativeme­nt récente. Qui s'imaginerai­t Dwight Eisenhower, Franklin Roosevelt, Ronald Reagan ou George W. Bush, en majorettes à jupette à paillettes? Ils ont pourtant bien été cheerleade­rs. Car, oui, l'activité des pom-pom girls n'a jamais été que féminine. Elle était même, au départ, lorsqu'elle a émergé à la fin du XIXe siècle dans les université­s du nord-est des Etats-Unis, exclusivem­ent l'affaire d'hommes blancs. Ils y apprenaien­t à maîtriser les foules.

Dans ce secteur particulie­r, les femmes ne sont apparues que dans les années 1920, pour finir par s'imposer après la seconde guerre mondiale, rappelle Mary Ellen Hanson dans son livre Go! Fight! Win! Cheerleadi­ng in American Culture. Dans son ouvrage Cheerleade­r! An American Icon, coécrit avec Natalie Guice Adams, Pamela Bettis, qui elle-même a été recalée des sélections pour devenir majorette, s'intéresse aussi à ce qui a longtemps été la démonstrat­ion d'une certaine forme de pouvoir masculin avant de verser dans l'hyperfémin­ité.

Les pom-pom girls sont passées du statut d’athlètes-acrobates au rang d’objets sexuels

Une première femme coach?

Aujourd'hui, le cheerleadi­ng compte près de 4 millions d'adeptes aux EtatsUnis, dispose d'une organisati­on nationale depuis 1948 et a même son associatio­n de coachs. Le milieu, devenu un véritable business, lutte contre l'image mièvre des pom-pom girls, véhiculée dans les films et séries américaine­s, qui les montre souvent comme des filles trop faciles, gentiment cruches, voire totalement écervelées. Et insiste sur sa profession­nalisation. Il existe même des championna­ts de cheerleade­rs, diffusés depuis 1983 par la chaîne de télévision ESPN.

La décision des Spurs de se débarrasse­r des Silver Dancers est loin d'être anodine. Certains y voient un relent de politiquem­ent correct, voire un zeste d'hypocrisie. Mais il existe aussi une autre grille de lecture: cette équipe de NBA semble vouloir valoriser la place des femmes dans le monde du basket, qui reste très machiste. Elle est la seule, depuis 2014, à avoir une femme comme coach assistante. Becky Hammon est d'ailleurs en pole position pour devenir coach des Milwaukee Bucks, ce qui ferait d'elle la toute première femme à diriger une équipe de NBA.

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 ?? (JIM YOUNG/REUTERS) ?? Les pom-pom girls de l’équipe des Wizards de Washington. La sexualisat­ion de ces danseuses a débuté à Dallas dans les années 1970.
(JIM YOUNG/REUTERS) Les pom-pom girls de l’équipe des Wizards de Washington. La sexualisat­ion de ces danseuses a débuté à Dallas dans les années 1970.

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