Le Temps

Le big data, clé d’une élection genevoise

Le nouveau conseiller d’Etat genevois prêtera serment jeudi. Dans sa campagne, il s’est appuyé sur l’applicatio­n 50+1, créée par la société qui a travaillé notamment pour la campagne d’Emmanuel Macron. Elle façonne des parcours ciblés pour le porte-à-port

- DAVID HAEBERLI @David_Haeberli

INNOVATION Collecter des données, les analyser et proposer aux militants un parcours qui va de porte à porte dans des zones ciblées où se trouvent les électeurs les plus susceptibl­es d’être convaincus. Pour se faire élire au Conseil d’Etat genevois, Thierry Apothéloz s’est notamment appuyé sur une applicatio­n créée par la société qui a travaillé pour la campagne d’Emmanuel Macron. Décodage d’un pari gagnant.

Jeudi 31 mai à 17h, un conseiller administra­tif de Vernier, la sixième ville de Suisse romande, deviendra ministre. Si Thierry Apothéloz doit cette consécrati­on cantonale aux quinze ans durant lesquels il a labouré le terrain communal, le socialiste s’est également appuyé sur le big data. Cette stratégie l’a certaineme­nt aidé à accomplir en 2018 ce qu’il n’avait pas réussi à faire en 2013.

«J’avais l’intuition que, pour être entendu, on devait sortir de l’empirisme pour adopter une approche plus scientifiq­ue, dit le futur conseiller d’Etat. Les flyers ne sont pas lus par les citoyens. Les stands ne relèvent pas de la science exacte et servent surtout à la visibilité du parti. Ce qui fonctionne, c’est le contact direct avec l’électeur.»

En 2015, Thierry Apothéloz se rend donc à Paris pour rencontrer les fondateurs de la société Liegey Muller Pons. Après avoir étudié aux EtatsUnis et pris part à la campagne de Barack Obama en 2008, Guillaume Liegey, Arthur Muller et Vincent Pons ont travaillé pour François Hollande lors de la présidenti­elle de 2012. Après la victoire du socialiste, ils créent leur start-up. Leur algorithme, mis au point en 2013, a été amélioré par le millier de campagnes auxquelles il a pris part depuis. Ils comptent désormais un deuxième président comme client, en la personne d’Emmanuel Macron.

Paris, Londres et Vernier

Liegey Muller Pons fait ses premiers pas en Suisse lors des élections communales de 2015, à Vernier. «Nous sommes une entreprise de technologi­e dont les produits sont conçus pour comprendre et convaincre la population de manière très locale», détaille Guillaume Liegey, joint par téléphone alors qu’il prenait le train Eurostar à Londres, où il habite désormais. «Nous ne sommes pas des sociologue­s. Notre méthode ne consiste pas à analyser des sondages. Notre algorithme va déterminer ce qui influence le vote, parmi plusieurs dizaines de dimensions. Notre applicatio­n permet de cibler les quartiers où les militants devront porter leurs efforts.» Le but: convertir des indécis.

«Suivre la route pour savoir à quelles portes taper»

A Genève, 50+1, le nom commercial de l’applicatio­n, a notamment été nourrie par les bases de données suivantes: l’historique des votations, les informatio­ns sociodémog­raphiques mises en ligne par les Offices de la statistiqu­e, les études du Centre d’analyse des inégalités du territoire de l’Université. Les quartiers où résident abstention­nistes et hésitants sont identifiés. Quatre variables (revenus médians bas, population jeune, logement locatif et forte proportion d’étrangers) sont croisées pour cibler des secteurs où agir efficaceme­nt. «On atteint un niveau de granularit­é équivalent à un bloc d’immeubles», dit Guillaume Liegey.

Durant la campagne pour les cantonales de ce printemps, les militants socialiste­s avaient sur leur smartphone des parcours personnali­sés. «Il suffisait de suivre la route pour savoir à quelles portes taper», résume Tamina Wicky, une des responsabl­es de ces actions. Car «collecter des données, c’est l’étape zéro, souligne Guillaume Liegey. Il faut ensuite une phase analytique, qui aboutit à un ciblage des zones où se trouvent les électeurs les plus susceptibl­es d’être convaincus. Enfin, il s’agit de gérer la campagne sur le terrain.»

«Il y a eu une mauvaise analyse de la campagne d’Obama, insiste Martin Staub, comparse socialiste de Thierry Apothéloz à Vernier. On s’est focalisé sur l’usage des réseaux sociaux et de la technologi­e. Alors que tout cela avait un but: rendre la rencontre entre un militant et un électeur potentiel la plus efficace possible.»

L’utilisatio­n de 50+1 a donc été couplée à la renaissanc­e d’une technique délaissée: le porte-à-porte. Les Genevois ont été classés en trois types: les fidèles (consigne: leur rappeler la date des élections), les opposants (écourter le contact) et les indécis, avec lesquels les militants doivent passer du temps. «Le but n’est pas de monopolise­r la parole mais d’écouter, souligne Thierry Apothéloz. Et de prendre note des questions qui émergent de la discussion. Je m’applique ensuite à y répondre.»

Technique gourmande en militants

La technique est gourmande en collaborat­eurs: sur la centaine de membres du PS Vernier, une quarantain­e y ont participé. Mais elle est efficace, jurent ses adeptes. «La qualité du contact est meilleure que ce que l’on vit sur les stands. C’est très motivant pour les militants», dit Martin Staub. Pour les dernières élections, les militants ont frappé à 4719 portes, dont 1893 se sont ouvertes. Les socialiste­s estiment que 1 à 2% des voix obtenues par Thierry Apothéloz sont le fruit de cette stratégie. 50+1 leur a coûté 30000 francs, sur un budget total de 350000 francs pour la campagne.

D’autres produits existent sur le marché, comme DigitaleBo­x et FederaVox en France. NationBuil­der, leur concurrent américain, a notamment compté François Fillon et Jean-Luc Mélenchon comme clients. Son expansion en Europe a été freinée lorsque les autorités françaises lui ont imposé en 2017 de retirer une fonction qui exploitait des données privées via les réseaux sociaux.

«Notre applicatio­n permet de cibler les quartiers où les militants devront porter leurs efforts» GUILLAUME LIEGEY, COFONDATEU­R DE LIEGEY MULLER PONS

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(MAGALI GIRARDIN) Pour les dernières élections genevoises, les militants socialiste­s avaient sur leur smartphone des parcours personnali­sés de porte-à-porte fournis par l’applicatio­n 50+1. Ils ont frappé à 4719 portes, dont 1893 se sont ouvertes.

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