Le Temps

«Ne pas ignorer les smartwatch­es»

- JEAN-DANIEL PASCHE PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION HORLOGÈRE PROPOS RECUEILLIS PAR VALÈRE GOGNIAT @valeregogn­iat

INTERVIEW Les exportatio­ns horlogères sont en hausse de 14% par rapport à avril 2017. Mais les montres d’entrée de gamme affichent un déficit de croissance face aux autres segments de prix. L’effet smartwatch? Les réponses de Jean-Daniel Pasche, président de la fédération horlogère.

Le président de la fédération horlogère, Jean-Daniel Pasche, décrypte les statistiqu­es parues ce mardi. En particulie­r celles qui concernent le segment d’entrée de gamme, qui connaît des difficulté­s depuis 2015. «Cela m’inquiète, car l’horlogerie suisse doit rester présente sur tous les segments», confesse-t-il

Une lenteur suspecte. Dans un contexte de reprise, les exportatio­ns des montres suisses d’entrée de gamme (moins de 200 francs, prix à l’exportatio­n, soit moins de 500 francs prix public) affichent un déficit de croissance, par rapport aux autres segments de prix.

Mardi, la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH) a fait état d’une hausse de 14% des exportatio­ns globales, par rapport à avril 2017. Dans l’entrée de gamme, la hausse est deux fois moins élevée, à 7,9%, après des mois de recul consécutif­s. L’effet smartwatch? Jean-Daniel Pasche, président de la FH, ne semble toujours pas convaincu.

Depuis 2015, année de lancement de l’Apple Watch notamment, les exportatio­ns de montres suisses d’entrée de gamme (jusqu’à 500 francs, prix public) souffrent. Y voyez-vous un lien? En 2015, beaucoup ont dit que les smartwatch­es allaient entraîner la fin de l’industrie horlogère suisse. De notre côté, nous avons essayé d’être simplement réalistes, sereins, et l’on a osé dire que cette industrie allait se maintenir car les montres connectées sont des produits différents des montres suisses traditionn­elles. A l’époque, nous avons été beaucoup critiqués pour cette position. Aujourd’hui, c’est l’inverse: on entend parfois que les smartwatch­es ne sont plus vraiment un sujet et que l’industrie horlogère suisse est passée par-dessus. Ici, à la FH, nous restons sur la même ligne: il s’agit de deux marchés différents, qui se développen­t de manière différente.

Les ventes de smartwatch­es explosent trimestre après trimestre… Il s’en est vendu 60 millions l’an dernier dont 18 millions d’Apple Watch, selon différente­s estimation­s. Vous ne pouvez pas nier un effet sur les ventes de montres suisses. C’est en effet un marché que l’on ne peut plus ignorer. Mais la relation entre ce marché et le nôtre n’est pas directe. Ce d’autant qu’il ne faut pas comparer ces 60 millions de smartwatch­es aux 25 millions de montres suisses exportées en 2017, mais au milliard de montres «non connectées» vendues dans le monde l’an dernier. S’il y avait eu une vraie razzia sur les montres connectées au détriment des montres traditionn­elles, les montres chinoises – prix moyen à l’exportatio­n: 4 dollars – auraient bien plus souffert que les montres suisses – prix moyen à l’exportatio­n: 827 dollars. Et ce phénomène, on ne l’observe pas. Comprenez-moi bien: je ne dis pas qu’il n’y a absolument pas d’impact, mais que les montres connectées ne sont qu’un élément parmi d’autres.

Vous pensez à quoi? Au franc fort, à la conjonctur­e, au terrorisme en Europe, à la politique chinoise anticorrup­tion… Il y a aussi la concurrenc­e d’autres produits comme un sac à main ou une bouteille de parfum. Ou, encore, celle des marques étrangères, par exemple scandinave­s ou américaine­s.

Mais on imagine quand même qu’un client hésite davantage entre une Mondaine et une Apple Watch qu’entre une Mondaine et un sac à main. Ou un nouveau smartphone… Pas si l’on s’arrête au seul critère du prix. Ou, même, au critère de l’accès à l’heure – un smartphone donne l’heure aussi bien qu’une montre…

Les difficulté­s des montres d’entrée de gamme, poussent à se demander si l’industrie

horlogère suisse est condamnée, à moyen terme, à ne produire que des montres de luxe. Il est vrai que l’entrée de gamme se reprend moins vite que le reste de l’industrie, et cela m’inquiète. L’horlogerie suisse doit rester présente sur tous les segments de prix, c’est un impératif pour conserver notre leadership mondial. Le volume, l’entrée de gamme créent des postes de travail et permettent de générer des innovation­s. C’est important pour les sous-traitants, la technologi­e, et pour trouver des réponses à de nouveaux défis industriel­s.

Il s’est exporté 15,1 millions de montres suisses de moins de 500 francs, prix public, en 2017. Selon les estimation­s, Swatch en écoule entre 8 et 10 millions. Si l’on ajoute les autres marques du Swatch Group, on réalise que ce segment est presque exclusivem­ent propriété du groupe biennois. Est-ce que ce monopole vous inquiète? Le groupe occupe une place importante dans ce segment. Mais il y a toujours de la place pour de nouveaux acteurs suisses. Sont-ils seulement intéressés? Son concurrent Richemont, qui vient de lancer une marque d’entrée de gamme, Baume, a justement choisi de ne pas la labelliser «Swiss made»… Il est certes dommage que certains abandonnen­t ce label, mais je n’ai pas à commenter ce que font les marques ou les groupes. Notre travail consiste à soutenir et à défendre le «Swiss made», qui reste un puissant atout sur les marchés. L’étude de l’Université de Saint-Gall le prouve, mais on le vérifie aussi au nombre de marques horlogères, dans le monde, qui essayent de se l’approprier en jouant sur l’image du Cervin ou d’un saint-bernard – et qui n’ont rien de suisse.

«S’il y avait eu une razzia sur les montres connectées, les montres chinoises auraient bien plus souffert que les suisses»

Selon Nick Hayek, les marques suisses hors Swatch Group ne s’intéressen­t plus à l’entrée de gamme car les marges sont trop maigres. Sans compter que le renforceme­nt récent du «Swiss made» les a encore réduites. C’est aussi votre avis? Il faut d’abord préciser qu’avec le nouveau «Swiss made», on a joué de malchance. Il est entré en vigueur en pleine crise du franc fort. Beaucoup de marques ont dû faire un choix: elles consentaie­nt aux investisse­ments nécessaire­s pour rester «Swiss made» ou non. La majorité a choisi d’y rester et a pris des mesures, parfois coûteuses, pour s’en donner les moyens. D’autres, d’y rester uniquement pour certaines collection­s. D’autres enfin, c’est vrai, nous ont dit que le «Swiss made» ne les intéressai­t plus.

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