Le Temps

Au Tessin, les armes sous le feu des critiques

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT , LUGANO

Ce mercredi, le Conseil national aborde la loi sur les armes. Au Tessin, après qu’une tuerie a été évitée de justesse, la double casquette du secrétaire général des Institutio­ns, également président de la Fédération sportive suisse de tir, suscite les critiques

Alors que le Conseil national traite ce mercredi de la loi fédérale, qu’il faut adapter aux exigences européenne­s, le sujet des armes à feu a plongé le Tessin dans les sueurs froides et un débat particuliè­rement vif. L’arrestatio­n, le 10 mai dernier, d’un Tessinois de 19 ans, accusé d’avoir voulu commettre une tuerie à l’Ecole de commerce de Bellinzone, a été l’élément déclencheu­r. «Le Tessin est l’un des cantons les plus armés du pays, c’est très inquiétant», dénonce le député socialiste Carlo Lepori, qui a interpellé le Conseil d’Etat.

Le contrôle des achats d’armes à feu et de munitions suscite des questions. «Le registre cantonal des armes a-t-il été d’une quelconque utilité pour détecter la dangerosit­é de l’auteur de l’attentat évité qui avait chez lui tout un arsenal? demande l’élu, soutenu par son camp. Le Conseil d’Etat devrait au moins pouvoir garantir à la population que les individus qui achètent ou possèdent des dizaines d’armes à feu sont connus de la police.» L’existence et l’encadremen­t des centres de tir privés, «dont on ne sait rien», sont également mis en question par la gauche.

Swissshoot­ing contre les directives européenne­s

Mais les interpella­teurs trouvent aussi inopportun que Luca Filippini, le secrétaire général du Départemen­t des institutio­ns, soit également président de la Fédération sportive suisse de tir. Cette associatio­n, appelée aussi Swissshoot­ing, est fermement opposée aux directives européenne­s qui visent à resserrer la vis en matière d’armes à feu et que la Suisse pourrait appliquer d’ici à 2019. Elle a annoncé fin avril qu’elle envisageai­t de consacrer un demi-million de francs pour financer un référendum contre leur adoption.

«Comme représenta­nt d’une institutio­n étatique, Luca Filippini devrait plutôt avoir une position neutre», estime Carlo Lepori. Contacté par Le Temps, le chef du Départemen­t des institutio­ns Norman Gobbi (Ligue des Tessinois) ne souhaite pas s’exprimer sur les deux casquettes de son haut fonctionna­ire et l’éventuel conflit d’intérêts qui en découle avant que le Conseil d’Etat n’ait répondu à l’acte parlementa­ire.

Dans une interview publiée le 20 mai par le Mattino della Domenica, l’influent hebdomadai­re de la Lega, Luca Filippini déplore que le cas isolé de l’attentat évité de Bellinzone soit exploité afin de dénigrer les associatio­ns et centres de tir. Le haut fonctionna­ire se veut rassurant quant aux normes de sécurité dans les stands de tir. Il assure n’avoir jamais vu les portraits de Hitler et de Mussolini affichés dans certains établissem­ents pour tireurs, dont la presse a fait état récemment. Dans les centres qu’il connaît, ce sont plutôt des trophées et des photos de compétitio­ns de tir qui sont mis en valeur.

Des ados tireurs

Le propriétai­re du centre de tir La Peschiera, que l’auteur de la tentative d’attentat de Bellinzone avait fréquenté au moins une fois pour tirer et acheter des munitions, juge les inquiétude­s socialiste­s injustifié­es. «Toutes les statistiqu­es montrent que nous sommes l’un des pays avec le plus d’armes par tête, mais avec le moins de problèmes, assure Ferruccio Galfetti. La vision de la gauche est idéologiqu­e, elle n’a rien à voir avec la réalité.»

Critiqué pour accueillir des «baby tireurs», des mineurs, le propriétai­re du stand se défend: «La plupart du temps, ce sont les parents qui nous amènent leurs jeunes pour un baptême de tir. Ils ont des armes à la maison, les enfants sont naturellem­ent curieux et dans une perspectiv­e éducative, ils souhaitent leur faire expériment­er le tir.»

«Les risques que survienne un drame diminuent avec la connaissan­ce et le respect de l’arme», ajoute Ferrucio Galfetti. Dès 13-14 ans, une arme à feu peut être mise entre les mains d’un adolescent, estime-t-il, même s’il observe que l’âge du premier contact est en baisse constante. «Avec toute la violence que l’on voit à la télévision et dans les jeux vidéo, c’est important que les jeunes sachent en quoi consistent réellement les armes.»

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