Le Temps

L’affaire Giroud vire au casse-tête à Genève

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Recours, requêtes et demandes de récusation affluent depuis que le Ministère public a rédigé son acte d’accusation et autorisé la transmissi­on aux parties de plus de 6000 nouvelles écoutes

Dominique Giroud et ses trois acolytes bientôt jugés à Genève pour avoir tenté de pirater les ordinateur­s de deux anciens journalist­es du Temps et de la RTS? C’était compter sans les complicati­ons infinies qui affectent ce dossier singulier. A peine transmise au tribunal, voilà que cette affaire est retournée à son expéditeur.

Le Ministère public est prié de gérer les conséquenc­es de sa décision de dernière minute consistant à donner l’accès à quelque 6200 nouvelles écoutes téléphoniq­ues. Décision qui fait déjà l’objet de deux recours et laisse augurer de nouvelles auditions. Pour couronner le tout, le vigneron valaisan et l’informatic­ien spécialist­e du hacking viennent tous deux de demander la récusation de la procureure Josepha Wohnrau. Ambiance.

La boîte de Pandore

Après avoir mis près de deux ans à se décider, le Ministère public a accepté de transmettr­e l’ensemble des enregistre­ments effectués sur les raccordeme­nts du détective privé, en sus des 63 conversati­ons jugées «pertinente­s» s’y trouvant déjà. C’était comme ouvrir la boîte de Pandore. La défense du prévenu a demandé et déjà obtenu du Tribunal de police que tous ses entretiens avec ses avocats (soit 23 conversati­ons et 9 SMS), couverts par le secret profession­nel, soient extraits du lot.

Le même détective, défendu par Me Saskia Ditisheim, a aussi saisi la Chambre pénale des recours afin que les discussion­s qui n’auraient rien à voir avec cette affaire de piratage ne soient pas remises aux parties et soient protégées de toute divulgatio­n sauvage sur internet. Des mesures provisionn­elles ont été demandées à l’appui de la requête.

Protection des sources

De son côté, Yves Steiner, ex-journalist­e de la RTS et désormais partie plaignante à la procédure, demande une mise sous scellés de ses conversati­ons avec le détective privé, autres que celles déjà retranscri­tes au dossier et qui sont déjà tombées dans le domaine public. «Le respect du principe de la protection des sources des profession­nels des médias impose d’écarter ces conversati­ons. Ce n’est pas seulement l’identité de la source qui compte mais aussi le contenu des informatio­ns obtenues», précise son conseil, Me Nicola Meier.

Aux yeux de Me Jamil Soussi, conseil de la RTS, qui ne s’était finalement pas opposé en 2015 au versement de certaines écoutes impliquant le journalist­e moyennant l’interdicti­on faite aux parties de les utiliser à d’autres fins, estime aussi que la transmissi­on de l’intégralit­é des 6200 enregistre­ments «pose un certain nombre de problèmes procédurau­x en particulie­r au regard de la protection des sources».

L’acte d’accusation et la décision quasi simultanée sur les différente­s réquisitio­ns de preuve font d’autres mécontents. Marc Comina, porte-parole de Dominique Giroud, précise que le vigneron a demandé la récusation de la procureure pour avoir négligé sa plainte pour escroqueri­e visant les fuites dont il a été la victime. «Le Ministère public a instruit de manière partiale en refusant notamment de faire toute la lumière sur le rôle de la paire formée par le détective et le journalist­e.»

«Manque de sérieux»

Aux yeux du même Marc Comina, le fait que le tribunal renvoie sa copie au parquet tout en soulignant expresséme­nt le délai de deux ans pris pour statuer sur certaines demandes en dit long sur la manière de conduire l’enquête: «Cette ordonnance, sévère pour le Ministère public, donne raison à mon client qui critique depuis quatre ans les lacunes et le manque de sérieux de cette instructio­n.»

L’informatic­ien, soupçonné d’être le cerveau technique du hacking et l’auteur des courriers électroniq­ues envoyés aux deux journalist­es, demande lui aussi la récusation de la procureure. «Toutes nos requêtes ont été systématiq­uement écartées durant cette instructio­n faite uniquement à charge», explique Me Gérald Page. L’avocat ajoute avoir également recouru contre la jonction qui vaudra à son client de répondre, au cours du même procès, d’une tentative de contrainte pour avoir envoyé un commandeme­nt de payer de 8 millions à Yves Steiner. Un procès qui s’éloigne furieuseme­nt.

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