Le Temps

Quand le DFAE vole au secours de la droite israélienn­e

- MICHEL BÜHRER JOURNALIST­E

Ignazio Cassis s’est mis au diapason de la droite israélienn­e en affirmant que l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestinie­ns (UNRWA) faisait «partie du problème» car elle entretenai­t l’espoir d’un retour sur les terres dont ils ont été chassés en 1948. Il faudrait donc modifier son mandat pour faciliter l’intégratio­n des réfugiés dans leur pays d’accueil. Ce qui revient à transférer le dossier au Haut-Commissari­at pour les réfugiés (HCR), une antienne de la droite israélienn­e depuis des lustres. C’est méconnaîtr­e le fait que l’organisme chargé de trouver une solution à la question des réfugiés existe depuis 1948… Faute de volonté politique, il est tombé dans l’oubli.

L’UNRWA est accusée de longue date par Israël de dissimuler un agenda anti-israélien et de perpétuer le statut des réfugiés palestinie­ns au lieu d’y apporter une solution. Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, comme l’ensemble de la droite, répète depuis des années que l’UNRWA devrait être démembrée et sa fonction transférée au Haut-Commissari­at pour les réfugiés, le HCR, qui s’occupe de tous les autres réfugiés dans le monde. Selon Israël, cela mettrait fin à la transmissi­on de ce statut d’une génération à l’autre, qui a fait passer le nombre d’inscrits à l’UNRWA de 750000 en 1949 à 5,2 millions en 2007. L’idée serait ainsi de «dissoudre» la question des réfugiés palestinie­ns en la transmetta­nt à une agence chargée de lui trouver une solution.

Or une telle institutio­n avait été créée en même temps que l’UNRWA en 1948 (avant la création du HCR) exactement dans ce but. Cette Commission de conciliati­on des Nations unies pour la Palestine (UNCCP) avait pour mandat d’«assister les gouverneme­nts et autorités concernés à trouver un accord final sur toutes les questions non résolues». Parmi elles la situation des réfugiés, dont l’immense majorité avait été chassée au cours du conflit qui suivit la création d’Israël. L’UNCCP voulait en priorité leur rapatrieme­nt (retour sur leur terre dans le nouvel Etat) ainsi que de justes compensati­ons pour ceux qui choisiraie­nt de ne pas revenir. Israël refusa et prôna leur réinstalla­tion dans les pays arabes. Ces derniers s’y opposaient, soutenant le rapatrieme­nt. Devant cette situation, l’UNRWA fut chargée de porter secours aux réfugiés là où ils se trouvaient. Le blocage dure depuis. L’UNCCP a cessé d’être active au début des années 60. Elle existe toujours en théorie, mais elle n’a plus ni staff ni budget, et personne n’en entend plus parler. Reste l’UNRWA, fondée dans le but de fournir une assistance humanitair­e et du travail aux 750000 réfugiés palestinie­ns.

Juste après, en 1950, les Nations unies créent le Haut-Commissari­at pour les réfugiés (HCR). Il est chargé notamment de la «protection internatio­nale» des réfugiés et d’aider les parties à conclure des arrangemen­ts définitifs (permanent solutions). Ceux de Palestine, déjà inscrits à l’UNRWA, en sont exclus pour éviter les doublons.

L’aide de l’UNRWA s’est structurée sur trois piliers: santé, éducation et services sociaux. Un mandat de «protection passive» a été ajouté par les Nations unies dès le début des années 80. En 2014, une brochure de l’UNRWA notait que son rôle incluait la promotion des «droits des réfugiés de Palestine dans le cadre du droit internatio­nal», dont la surveillan­ce et la dénonciati­on de la violation de ces droits. Mais l’UNRWA n’a pas vocation à trouver une solution durable.

Le HCR a un rôle de protection légale plus actif, basé sur la convention des Nations unies sur les réfugiés, dont le mandat est d’oeuvrer à trouver des solutions définitive­s, en accord avec les gouverneme­nts et les réfugiés eux-mêmes. Autrement dit, il est similaire à celui de l’UNCCP, dans le coma depuis plus de cinquante ans… En l’absence d’accord entre les parties, le statut de réfugié sous protection du HCR persiste aussi parfois durant des décennies et se transmet d’une génération à l’autre. Selon la définition du HCR, sont réfugiés de longue durée (protracted refugees) les population­s de 25000 personnes ou plus, de la même nationalit­é, en exil depuis cinq ans consécutif­s ou plus. Parmi eux, plus de 4 millions sont dans une telle situation depuis vingt ans ou plus. C’est le cas des réfugiés afghans en Iran et au Pakistan, depuis plus de trente ans.

Selon les termes du HCR, la situation des réfugiés de longue durée est causée par une impasse politique. C’est exactement le cas des Palestinie­ns. «Un réfugié dans cette situation est souvent incapable de se libérer d’une dépendance forcée à une aide extérieure», souligne le HCR dans un rapport à son comité exécutif. Un transfert de responsabi­lité de l’UNRWA au HCR, de ce point de vue, ne servirait à rien, sinon à fragiliser la situation humanitair­e des réfugiés de Palestine.

Un transfert de responsabi­lité de l’UNRWA au HCR ne servirait à rien, sinon à fragiliser la situation humanitair­e des réfugiés de Palestine

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