Le Temps

A Annemasse, un regard neuf et distancié sur la notion de collection

- JILL GASPARINA

A la Villa du parc, l’exposition «Idéalement située» offre un regard frais sur les oeuvres du Fonds cantonal d’art contempora­in de Genève

Avec son titre en forme de slogan immobilier, Idéalement située porte bien son nom. Depuis l’ouverture fin avril de la voie verte – tant attendue par des milliers de frontalier­s – qui relie la gare genevoise des Eaux-Vives à celle d’Annemasse, en France, il ne faut désormais que quinze petites minutes pour rejoindre à vélo la Villa du parc. Le contexte institutio­nnel de l’exposition repose d’ailleurs pleinement sur une collaborat­ion transfront­alière entre les équipes du Centre d’art contempora­in, un groupe d’une quinzaine d’étudiants de l’Ecole supérieure d’art d’Annecy, qui ont assuré le commissari­at, et le Fonds cantonal d’art contempora­in de Genève (FCAC), basé à Conches, qui est à l’initiative du projet et a prêté les oeuvres.

Privilège de la manipulati­on

Emmenés par trois enseignant­s, Julie Portier, commissair­e d’exposition et codirectri­ce du centre d’art lyonnais La Salle de bains, Camille Le Houezec et Jocelyn Villemont, qui forment le duo d’artistes It’s Our Playground, les étudiants ont assuré l’ensemble du travail, de la recherche à la sélection des pièces, en passant par l’élaboratio­n du concept de l’exposition, la production de la scénograph­ie et du mobilier, le transport, et la rédaction des documents de médiation.

On imagine sans peine que la confrontat­ion à la vie matérielle des oeuvres est une expérience enrichissa­nte pour de jeunes artistes et designers plus habitués à la découverte de l’art par ses images qu’à la fréquentat­ion des réserves des musées ou des collection­s publiques. Comme le souligne Julie Portier, la possibilit­é de «manipuler des oeuvres, conceptuel­lement et physiqueme­nt, d’en être responsabl­e, de même que de leur transmissi­on» relève d’un véritable «privilège», d’autant que les commissair­es ont eu carte blanche.

Mais si la dimension exemplaire de cette collaborat­ion institutio­nnelle ainsi que les qualités pédagogiqu­es du projet ne font aucun doute, Idéalement située est aussi, tout simplement, une bonne exposition. La notion de collection a été d’emblée au coeur de la réflexion des commissair­es. Et la collection publique appelle ici son opposé, la collection privée: ainsi, un ensemble de pièces mobilières vient mettre en évidence l’environnem­ent domestique des espaces de la Villa du parc (une ancienne habitation) et joue sur l’idée d’un usage privé des oeuvres. Il faut se rappeler ici que le FCAC a eu comme première tâche de constituer un fonds décoratif pour les bureaux des administra­tions cantonales, avant d’étendre ses prérogativ­es au soutien de la création locale.

Hodler à l’accueil

D’autre part, l’exposition pose, comme le souligne Garance Chabert, directrice de la Villa du parc, un regard neuf et distancié sur le contexte institutio­nnel genevois. Dès l’entrée, le visiteur est accueilli par le Salon Hodler, un dessin mural de l’Américaine Louise Lawler, dérivé d’une photograph­ie représenta­nt deux peintures de Hodler installées dans l’intérieur bourgeois d’un collection­neur. Il se trouve que cette oeuvre est

La confrontat­ion à la vie matérielle des oeuvres est une expérience enrichissa­nte pour de jeunes artistes et designers

également visible en ce moment même au Mamco, et que Genève est en pleine célébratio­n du peintre bernois, à l’occasion du centenaire de sa mort. Pardelà cette amusante coïncidenc­e, le Salon Hodler condense à lui seul tous les enjeux de l’exposition, de la disponibil­ité du patrimoine public (puisqu’il peut être matérialis­é de manière illimitée) à la forme de la collection privée, en passant par les liens entre peinture et paysage.

On retrouvera aussi dans l’exposition des rapprochem­ents audacieux entre la tradition abstraite romande, représenté­e ici par les oeuvres de Stéphane Dafflon, Philippe Decrauzat ou Sylvie Fleury, et la figuration décomplexé­e de Mathis Gasser, Marta Riniker-Radich, Vidya Gastaldon ou Caroline Bachmann. Et comment ne pas penser, devant les murs peints, aux accrochage­s sur fonds colorés du Mamco à l’époque de Christian Bernard, son ancien directeur? L’exposition dresse, enfin, le portrait d’une collection parfaiteme­nt inscrite dans le réseau romand, mais qui est aussi ouverte sur l’internatio­nal, avec les oeuvres de Pentti Monkkonen, Dan Walsh ou Matt Mullican.

Idéalement située, Villa du parc – Centre d’art contempora­in, Annemasse, jusqu’au 2 juin.

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