Le Temps

La chute de la livre turque complique la réélection d’Erdogan

- RAM ETWAREEA @ram52

La monnaie turque a dégringolé de près de 20% depuis le début de l’année. A un mois des élections législativ­es et présidenti­elles, le président turc dénonce l’action des «comploteur­s étrangers»

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a un nouvel ennemi: la livre turque. A moins d’un mois des élections législativ­es et présidenti­elles où il espère consolider son pouvoir, la monnaie nationale a dégringolé de près de 20% depuis le début de l’année. Mardi, alors que le président de la Banque centrale turque, Murat Cetinkaya, et le vice-premier ministre, Mehmet Simsek, tentaient de rassurer les investisse­urs à Londres, la livre s’échangeait à 4,56 contre le dollar. Au début de l’année, il n’en fallait que 3,80.

Conséquenc­es directes de la dévaluatio­n: l’inflation est estimée à 10,8% sur l’année. Le taux de croissance est aussi en baisse: il devrait passer de 11,4% l’an dernier à 4% en 2018. Dans le style qui est le sien, le président Erdogan n’a pas joué l’apaisement. «Sortez les dollars et les euros de sous votre oreiller et allez les changer en livres turques. Nous sommes au courant du jeu qui est joué contre nous et nous nous battons avec les outils dont nous disposons. Etre citoyen turc signifie aujourd’hui que vous devez d’abord protéger votre monnaie. C’est la demande que je formule à mon peuple: ne croyez pas les rumeurs et protégez votre devise nationale.»

D’exportateu­r à importateu­r

L’effondreme­nt de la livre est directemen­t lié à la situation économique du pays. La Turquie, qui était il y a quelques années encore un grand exportateu­r agricole, importe désormais de la viande de Serbie. La situation politique – état d’urgence, arrestatio­ns d’opposants, répression contre la presse, guerre en Syrie – ne fait qu’augmenter la pression et les investisse­urs se font de plus en plus rares. Les interventi­ons de la Banque centrale (hausse du taux d’intérêt et adoption d’un régime plus simple pour accorder le crédit) ont eu l’effet escompté, mais seulement pour une courte durée.

«On peut, sans risquer de se tromper, dire que la majorité des électeurs turcs sont préoccupés par l’économie qui ne cesse de se détériorer, écrit une chroniqueu­se de Hürriyet, un grand quotidien du pays. Il est surprenant de constater que le Parti justice et développem­ent au pouvoir et le président Recep Tayyip Erdogan ne voient pas le lien entre l’économie et l’état d’urgence en place.» Elle rappelle que la Turkish Business and Industry Associatio­n demande sa levée, affirmant qu’une telle situation politique joue contre l’image du pays.

Le principal opposant à Recep Tayyip Erdogan au scrutin présidenti­el du 24 juin, Muharrem Ince (Alliance de la nation), a quant à lui fait le lien et ne laisse passer aucune occasion pour promettre la fin de l’état d’urgence en cas de victoire. Pour séduire les électeurs, il va plus loin et promet de distribuer des aides financière­s à la population.

Nombreux points noirs

Dans une note publiée cette semaine, Philippe Waechter, chef de la recherche auprès du fonds européen Ostrum Asset Management, explique la vulnérabil­ité de l’économie turque. «Son déficit, qui est à plus de 5% de son produit intérieur brut, reflète de forts besoins de financemen­t externe, écrit-il. Or l’épargne interne est faible et le pays dépend des capitaux étrangers, qui sont de court terme et spéculatif­s. Pour les garder, la Banque centrale turque n’a pas d’autres choix que de maintenir des taux d’intérêt élevés.»

«On peut dire que la majorité des électeurs turcs sont préoccupés par l’économie, qui ne cesse de se détériorer»

UNE CHRONIQUEU­SE DU GRAND QUOTIDIEN TURC «HÜRRIYET»

 ?? (UMIT BEKTAS/REUTERS) ?? Recep Tayyip Erdogan, premier ministre turc de 2003 à 2014 et président depuis 2014, cherche à consolider son pouvoir lors du scrutin du 24 juin 2018. L’évolution de la conjonctur­e joue en sa défaveur.
(UMIT BEKTAS/REUTERS) Recep Tayyip Erdogan, premier ministre turc de 2003 à 2014 et président depuis 2014, cherche à consolider son pouvoir lors du scrutin du 24 juin 2018. L’évolution de la conjonctur­e joue en sa défaveur.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland