Le Temps

Un traître à la patrie?

- SERVAN PECA @servanpeca

Nestlé doit beaucoup à sa suissitude. Le groupe ne devrait pas négliger cette image d’excellence que possède le pays

Pour ceux qui n’avaient pas encore compris, le message est cette fois-ci on ne peut plus clair. Nestlé, en décidant de délocalise­r ses services informatiq­ues et une partie des employés de Nespresso, confirme la direction prise depuis l’arrivée de son patron Mark Schneider, en janvier 2017.

Le groupe veut devenir plus rentable et, pour cela, il n’hésite pas à trancher dans le vif. Il n’y a plus aucun tabou. Y compris en Suisse, son lieu de naissance, sa patrie, la domiciliat­ion juridique de son siège mondial.

Nestlé est-il pour autant un traître à la nation? Mardi, l’Etat de Vaud a immédiatem­ent demandé audience. Mais il ne faut pas attendre grand-chose de cette rencontre. Une diminution du nombre de postes supprimés, au mieux. Des mesures d’accompagne­ment pour les victimes de cette restructur­ation, sans aucun doute.

Certes, la décision de réduire ses effectifs en Suisse est délicate, parce qu’elle touche à l’émotionnel. Elle est choquante parce que le groupe avait toujours préservé sa région de ses impératifs économique­s. Mais cette décision appartient aux règles du marché. Nestlé est une multinatio­nale redevable à ses actionnair­es et, qui plus est, basée dans un pays dont l’économie revendique le non-interventi­onnisme étatique. Que cela plaise ou non, Nestlé fait à peu près ce qu’il veut de la gestion de ses coûts et du versement de ses dividendes.

En plus d’un directeur général qui a été embauché pour sortir Nestlé de son inertie, son conseil d’administra­tion a accueilli cette année des dirigeants reconnus pour leur capacité à rationalis­er: Kasper Rorsted (Adidas), Pablo Isla (Inditex) et Kimberly Ross (ex-Baker Hughes). Plus que jamais, le groupe est piloté par des personnali­tés qui n’ont pas d’attachemen­t particulie­r à la Suisse.

A chaque fois qu’une de ses décisions touche son propre pays, Nestlé se dépêche pourtant de rappeler le nombre d’employés qu’il y compte et les investisse­ments qu’il va y faire ces prochaines années. La direction est donc consciente de cet enjeu stratégiqu­e de rester suisse. C’est une bonne nouvelle pour l’économie nationale, et vaudoise en particulie­r: le groupe a beau trancher dans le vif, il n’a pas oublié qu’ici il a une confiance à conserver.

Nestlé doit beaucoup à sa suissitude. La réputation, les ventes et le positionne­ment de ses produits bénéficien­t de cette image d’excellence que possède le pays dans le monde entier. C’est d’autant plus vrai au moment où Nestlé cherche à la fois à «premiumise­r» ses produits et à les rapprocher de ceux de l’industrie pharmaceut­ique. Perdre cet avantage concurrent­iel unique serait dommageabl­e. Y compris sur le plan financier, puisque c’est bien cela qui régit désormais toutes les décisions stratégiqu­es de Nestlé.

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