Le Temps

Le CICR appelle la Suisse à soutenir l’interdicti­on des armes nucléaires

- PETER MAURER PRÉSIDENT DU COMITÉ INTERNATIO­NAL DE LA CROIX-ROUGE ANNEMARIE HUBER-HOTZ PRÉSIDENTE DE LA CROIX-ROUGE SUISSE

La Suisse s’apprête à prendre une décision capitale qui mettra à l’épreuve sa longue tradition humanitair­e: adhérera-t-elle au Traité de 2017 sur l’interdicti­on des armes nucléaires?

Nos deux institutio­ns, le Comité internatio­nal de la Croix-Rouge (CICR) et la Croix-Rouge suisse, plongent leurs racines dans la mission humanitair­e de la Suisse. Nous sommes l’un comme l’autre fermement convaincus que, pour prendre sa décision au sujet du traité, la Suisse doit se fonder sur notre humanité commune, les principes du droit internatio­nal humanitair­e et le rôle particulie­r qu’elle joue en tant que dépositair­e des Convention­s de Genève.

Les armes nucléaires sont les armes les plus destructri­ces jamais inventées. Le CICR a été le témoin direct de leurs conséquenc­es catastroph­iques sur le plan humanitair­e lorsque, en août 1945, il s’efforçait de secourir les victimes du bombardeme­nt d’Hiroshima aux côtés de la Société de la Croix-Rouge du Japon.

L’explosion nucléaire a réduit la ville en cendres, tuant instantané­ment des dizaines de milliers de personnes, rasant les structures médicales et laissant derrière elle des conditions de vie effroyable­s pour ceux qui avaient survécu. Le CICR a appelé à l’interdicti­on des armes nucléaires dès le mois suivant et, depuis 2011, l’ensemble du Mouvement internatio­nal de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge demande avec insistance que ces armes ne soient plus jamais utilisées et qu’elles soient interdites par un instrument internatio­nal juridiquem­ent contraigna­nt.

Si la décision qui incombe maintenant à la Suisse revêt une telle importance, c’est en raison de l’extrême gravité des explosions nucléaires. Il convient de rappeler qu’aucun plan internatio­nal ni aucun acteur ne seraient à même de répondre de manière adéquate aux besoins des victimes en cas d’emploi d’armes nucléaires, et que leurs effets sur la santé peuvent perdurer pendant des décennies. De fait, les hôpitaux de la Croix-Rouge du Japon continuent aujourd’hui encore à soigner des personnes atteintes de cancers ou de leucémies imputables aux radiations causées par les explosions atomiques de 1945.

On constate aujourd’hui avec une vive inquiétude que le risque d’explosion nucléaire va croissant. Alors que des responsabl­es politiques de premier plan n’hésitent plus à brandir la menace d’un recours à l’arme nucléaire, le secrétaire général de l’Organisati­on des Nations unies (ONU) a lancé en avril dernier cette mise en garde: «La guerre froide est de retour […], à ceci près que les mécanismes de sauvegarde destinés à gérer les risques d’escalade qui existaient alors semblent avoir disparu.» Les Etats détenteurs d’armes nucléaires modernisen­t leurs arsenaux de façon à pouvoir les utiliser dans des contextes plus variés. Parallèlem­ent, leurs systèmes de commande et de contrôle sont désormais plus vulnérable­s aux cyberattaq­ues.

Face à ces réalités, le Traité sur l’interdicti­on des armes nucléaires, adopté à l’ONU en juillet dernier par 122 Etats – dont la Suisse –, représente une lueur d’espoir et un élément essentiel à l’instaurati­on d’un monde exempt d’armes nucléaires. Nous sommes conscients que le traité ne fera pas disparaîtr­e les armes du jour au lendemain, mais il enlève toute légitimité à leur rôle et constitue un frein à leur proliférat­ion. Aussi les Etats qui signent et ratifient le traité envoient un message clair: ces armes sont inacceptab­les.

Le Traité sur l’interdicti­on des armes nucléaires vient compléter les objectifs des accords existants sur le désarmemen­t nucléaire, tels que le Traité sur la non-proliférat­ion des armes nucléaires. Or la crédibilit­é de ce dernier est menacée tant que des progrès réels n’auront pas été accomplis dans l’exécution des obligation­s de désarmemen­t qu’il prévoit. Et le Traité sur l’interdicti­on des armes nucléaires constitue un pas concret dans cette direction.

Mais en quoi cela concerne-t-il la Suisse? L’adhésion au Traité sur l’interdicti­on des armes nucléaires par la majorité des Etats, dont la Suisse, peut marquer un tournant décisif vers un monde dénucléari­sé. La Suisse peut et doit jouer un rôle actif dans la réalisatio­n de cet objectif.

Le fondateur du Mouvement de la CroixRouge, Henri Dunant, mettait en garde à la fin d’Un souvenir de Solférino contre «les nouveaux et terribles moyens de destructio­n» augmentant le risque qu’à l’avenir «les batailles [deviennent] beaucoup plus meurtrière­s». Une guerre nucléaire concrétise­rait les pires craintes de Dunant et trahirait les efforts déployés depuis des décennies pour contrôler les pulsions les plus destructri­ces de l’humanité.

A l’heure de décider si la Suisse doit adhérer au Traité sur l’interdicti­on des armes nucléaires, les citoyens et les responsabl­es politiques de notre pays doivent se laisser guider par notre tradition humanitair­e et ne pas oublier l’espoir que cet instrument représente pour les génération­s futures.

Les citoyens et les responsabl­es politiques de notre pays doivent se laisser guider par notre tradition humanitair­e

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