Le Temps

Commissair­e européen réprimandé

La Commission européenne est sous le feu des critiques après des commentair­es jugés arrogants. Elle s’en est excusée mais elle s’est déjà plus d’une fois laissé aller à commenter la vie électorale des Etats membres

- SOLENN PAULIC, BRUXELLES

L’Union européenne (UE) doitelle ou non se mêler des affaires électorale­s de ses Etats membres? Et peut-elle se permettre de donner des conseils à ceux qui lui causent le plus de tracas, en l’occurrence l’Italie actuelleme­nt? La question s’est de nouveau très abruptemen­t posée le mardi 29 mai à l’occasion d’une déclaratio­n au micro de la Deutsche Welle du commissair­e européen au Budget, Gunther Oettinger, sur le choix des électeurs italiens et ses conséquenc­es sur les marchés.

Les réactions outrées n’ont pas tardé. Le chef de la Ligue du Nord, Matteo Salvini, s’est offusqué que Bruxelles n’ait aucune honte à transmettr­e de tels messages, tandis que Luigi de Maio, leader du Mouvement 5 étoiles, a fustigé l’UE, coupable selon lui de considérer l’Italie comme une colonie où passer ses vacances d’été. Au sein des institutio­ns européenne­s aussi, on a peu goûté cette liberté de ton. Jean-Claude Juncker a rapidement fait savoir qu’il avait recadré son commissair­e au Budget. Donald Tusk, le président du Conseil européen, s’est quant à lui fendu d’un tweet appelant les institutio­ns à respecter le choix des électeurs, d’où qu’ils soient. «Nous sommes là pour les servir, pas pour leur faire la leçon», a réagi le Polonais.

Plates excuses

A sa décharge, le commissair­e allemand, proche d’Angela Merkel, a d’abord été cité de manière incorrecte. Une première mouture lui faisait dire que les marchés allaient «apprendre aux Italiens à bien voter». La petite phrase a ensuite été précisée. L’Allemand confiait son inquiétude de manière un peu moins brutale, disant s’attendre à ce que les développem­ents soient si violents pour l’économie italienne que cela pourrait conduire les électeurs à ne pas «choisir des populistes de gauche ou de droite».

Mercredi, la Commission européenne a encore dû se justifier et répéter que ce «n’est surtout pas le rôle de la Commission de dire aux électeurs comment ils doivent gérer leur destin», a encore martelé un porte-parole. Quant au principal intéressé, il a dû s’excuser personnell­ement. Il n’a pas voulu «manquer de respect» aux Italiens, et les électeurs de droite, de gauche ou du centre ont toute sa considérat­ion.

Mais la réalité est différente et, en la matière, il y a déjà quelques précédents, la Commission s’étant déjà immiscée dans le destin de certains de ses membres.

Certes l’Allemand n’en est pas à sa première déclaratio­n polémique. Gunther Oettinger est même plutôt coutumier du fait. Lors de sa nomination au portefeuil­le du Budget, il avait été critiqué par les députés pour ses propos colorés sur les Chinois, «ces bridés tous peignés de gauche à droite avec du cirage noir», sur le mariage homosexuel ou encore sur les femmes. Au moment des ratificati­ons houleuses par les parlements nationaux du CETA, l’accord de libre-échange avec le Canada, il avait critiqué la résistance de la Wallonie, «une micro-région gérée par des communiste­s qui bloque toute l’Europe». En 2014, il avait aussi traité la France de pays déficitair­e «récidivist­e», déclenchan­t au sein du PS français des appels à sa démission.

Ces petites phrases resteraien­t indolores si elles ne jetaient pas un doute sur les intentions réelles de l’exécutif européen, jugeant peut-être bien utile d’avoir un tel franc-tireur.

Quatre homologues italiens

Présent à Strasbourg hier matin pour un débat sur l’Europe, le premier ministre luxembourg­eois, Xavier Bettel, a bien résumé le paradoxe européen: certes l’UE ne doit pas juger le vote des électeurs, en Italie ou au Royaume-Uni lors du Brexit, mais, depuis qu’il est arrivé au pouvoir, l’homme a déjà «traité avec 4 homologues italiens».

L’Italie a régulièrem­ent donné des maux de tête aux Européens par le passé. Et sous la Commission Barroso, l’UE avait déjà été clairement accusée de forcer la constituti­on de gouverneme­nts techniques apolitique­s pour mettre en oeuvre les réformes décidées dans l’Eurozone. Après la chute de Berlusconi, elle avait été accusée d’avoir imposé comme premier ministre et ministre de l’Economie Mario Monti, un ancien conseiller de la banque d’affaires Goldman Sachs. Enrico Letta avait suivi, avant que Matteo Renzi ne devienne lui aussi en 2014 le deuxième président du Conseil italien non élu.

Avec la Grèce, l’UE a été beaucoup moins subtile. Jean-Claude Juncker avait clairement mis en garde les Grecs lors du référendum de juillet 2015 sur le dernier plan de sauvetage. Pour Juncker, un non à ce plan UE/BCE/FMI revenait même tout simplement à dire «non à l’Europe». «Je demanderai aux Grecs de voter oui», avait-il alors affirmé sans scrupules. La question pourrait donc être celle-ci dans l’affaire Oettinger/Italie: ne serait-il pas temps, à un an de la fin de son mandat, que la Commission s’assume en organe véritablem­ent politique, comme Jean-Claude Juncker l’avait expresséme­nt désiré en prenant ses fonctions?

«Nous sommes là pour servir les électeurs, pas pour leur faire la leçon»

DONALD TUSK,

PRÉSIDENT DU CONSEIL EUROPÉEN

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