Macron, saint Louis et Leonarda
Le monarque français Louis IX naquit à Poissy en 1214 et mourut en 1270 à Tunis, lors de la huitième croisade. De ce roi très pieux passé à la postérité sous le nom de saint Louis, la mémoire populaire garde une image: celle du chêne sous lequel il rendait la justice. Un cliché associé à un autre geste monarchique: la guérison des écrouelles. Une seule touche du divin monarque, et ces fistules purulentes disparaissaient. De quoi nourrir, depuis des siècles, l’imaginaire d’un souverain capable de dire et de faire le bien par la grâce de Dieu…
Emmanuel Macron, on le sait, pense qu’un «vide» a été engendré, en France, par la disparition des rois. Ce jeune président bonapartiste rejette toutefois, dès qu’il le peut, l’accusation de monarchisme républicain. Dont acte. Et pourtant: comment ne pas voir, dans sa précipitation à recevoir à l’Elysée le jeune Mamoudou Gassama, sauveteur d’un enfant accroché au balcon d’un immeuble parisien et sur le point de tomber, un retour en force du souverain généreux, capable de régulariser d’une parole la situation d’un migrant arrivé illégalement sur le sol français? Place à l’émotion reine et immédiate. Alors que, côté politique, le même président ne cesse d’appeler les Français à la patience pour juger les résultats de son action…
La plupart des commentateurs ont aussitôt jugé Emmanuel Macron à l’aune de sa politique de fermeté vis-à-vis des migrants, encore illustrée mercredi par l’évacuation du camp parisien du Millénaire. Rien d’autre à ajouter tant ce grand écart est problématique, voire contre-productif pour légitimer une politique affichée de retour au pays des migrants déboutés de leur demande d’asile. Mamoudou Gassama, pour mémoire, est citoyen malien. Or la France, présente militairement au Mali où une élection présidentielle démocratique se tiendra le 29 juillet 2018, ne régularise aujourd’hui les ressortissants de ce pays qu’au compte-gouttes, essentiellement au vu de leurs liens familiaux (environ 700000 Maliens vivent en France). Qu’un acte héroïque change la donne pour un individu peut se défendre. Mais pourquoi le donner en spectacle, dans le faste de l’Elysée, au risque d’accréditer l’idée qu’en France, de toute façon, la fermeté de l’Etat peut toujours être contournée?
Une autre comparaison m’est venue à l’esprit. Emmanuel Macron conseillait encore François Hollande lorsque ce dernier décida d’intervenir en octobre 2013 dans la polémique opposant les forces de police à la jeune Leonarda, une Rom d’origine kosovare interpellée lors d’une sortie scolaire et expulsée avec sa famille… parce qu’en situation irrégulière. Le dénouement fut bien plus hasardeux. En termes de communication, Hollande n’est pas Macron. Le chef de l’Etat laissa d’abord agir son premier ministre, Manuel Valls, avant d’entrer en scène et d’autoriser la jeune fille à poursuivre sa scolarité en France sans sa famille. Bug immédiat. Leonarda se permit même de tenir tête à l’ex-chef de l’Etat. La curée médiatique fut sans merci. La justice rendue sous le chêne de l’Elysée, face aux caméras, était alors apparue hésitante et erratique. A l’image du quinquennat.
N’empêche. Le syndrome Leonarda a perduré. Et Emmanuel Macron, si soucieux de se différencier de son prédécesseur, est tombé dedans. Car si le courage d’un homme mérite incontestablement d’être récompensé, la question de la perception du rôle présidentiel se pose. Dans quel autre pays – sauf peut-être dans l’Amérique de Donald Trump, ce président anti-immigrants mais façonné par la téléréalité – un jeune clandestin généreux se retrouve-t-il, en moins de 24 heures, dans le bureau du chef des armées pour se voir promettre (potentiellement, post-régularisation) la nationalité française et un emploi chez les sapeurs-pompiers, alors que son pays, menacé par les assauts islamistes, subit une hémorragie problématique de sa jeunesse? Quel est le message?
Une autre pensée m’assaille. Il y a bientôt cent ans, l’armistice du 11 novembre 1918 mettait fin à la plus terrible guerre ayant ravagé l’Europe. Des milliers de soldats noirs, issus de pays colonisés par la France, donnèrent alors leur vie ou finirent blessés, amputés, broyés. D’autres générations de tirailleurs les suivirent, en 39-45, puis en Indochine. Avant de chavirer dans l’oubli de l’histoire jusqu’à ce que la République, bien tardivement, les réhabilite peu à peu. Mamoudou Gassama ne connaît peut-être pas cette histoire. Mais il aurait dû faire un voeu dans le bureau élyséen: que le 11 novembre prochain, tous les anciens combattants maliens salués et décorés pour leur héroïsme lors des combats pour la France soient conviés et honorés par Emmanuel Macron. Ce geste-là aurait une bien plus grande portée qu’une séance «d’écrouelles» présidentielles.
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