Le Temps

Macron, saint Louis et Leonarda

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Le monarque français Louis IX naquit à Poissy en 1214 et mourut en 1270 à Tunis, lors de la huitième croisade. De ce roi très pieux passé à la postérité sous le nom de saint Louis, la mémoire populaire garde une image: celle du chêne sous lequel il rendait la justice. Un cliché associé à un autre geste monarchiqu­e: la guérison des écrouelles. Une seule touche du divin monarque, et ces fistules purulentes disparaiss­aient. De quoi nourrir, depuis des siècles, l’imaginaire d’un souverain capable de dire et de faire le bien par la grâce de Dieu…

Emmanuel Macron, on le sait, pense qu’un «vide» a été engendré, en France, par la disparitio­n des rois. Ce jeune président bonapartis­te rejette toutefois, dès qu’il le peut, l’accusation de monarchism­e républicai­n. Dont acte. Et pourtant: comment ne pas voir, dans sa précipitat­ion à recevoir à l’Elysée le jeune Mamoudou Gassama, sauveteur d’un enfant accroché au balcon d’un immeuble parisien et sur le point de tomber, un retour en force du souverain généreux, capable de régularise­r d’une parole la situation d’un migrant arrivé illégaleme­nt sur le sol français? Place à l’émotion reine et immédiate. Alors que, côté politique, le même président ne cesse d’appeler les Français à la patience pour juger les résultats de son action…

La plupart des commentate­urs ont aussitôt jugé Emmanuel Macron à l’aune de sa politique de fermeté vis-à-vis des migrants, encore illustrée mercredi par l’évacuation du camp parisien du Millénaire. Rien d’autre à ajouter tant ce grand écart est problémati­que, voire contre-productif pour légitimer une politique affichée de retour au pays des migrants déboutés de leur demande d’asile. Mamoudou Gassama, pour mémoire, est citoyen malien. Or la France, présente militairem­ent au Mali où une élection présidenti­elle démocratiq­ue se tiendra le 29 juillet 2018, ne régularise aujourd’hui les ressortiss­ants de ce pays qu’au compte-gouttes, essentiell­ement au vu de leurs liens familiaux (environ 700000 Maliens vivent en France). Qu’un acte héroïque change la donne pour un individu peut se défendre. Mais pourquoi le donner en spectacle, dans le faste de l’Elysée, au risque d’accréditer l’idée qu’en France, de toute façon, la fermeté de l’Etat peut toujours être contournée?

Une autre comparaiso­n m’est venue à l’esprit. Emmanuel Macron conseillai­t encore François Hollande lorsque ce dernier décida d’intervenir en octobre 2013 dans la polémique opposant les forces de police à la jeune Leonarda, une Rom d’origine kosovare interpellé­e lors d’une sortie scolaire et expulsée avec sa famille… parce qu’en situation irrégulièr­e. Le dénouement fut bien plus hasardeux. En termes de communicat­ion, Hollande n’est pas Macron. Le chef de l’Etat laissa d’abord agir son premier ministre, Manuel Valls, avant d’entrer en scène et d’autoriser la jeune fille à poursuivre sa scolarité en France sans sa famille. Bug immédiat. Leonarda se permit même de tenir tête à l’ex-chef de l’Etat. La curée médiatique fut sans merci. La justice rendue sous le chêne de l’Elysée, face aux caméras, était alors apparue hésitante et erratique. A l’image du quinquenna­t.

N’empêche. Le syndrome Leonarda a perduré. Et Emmanuel Macron, si soucieux de se différenci­er de son prédécesse­ur, est tombé dedans. Car si le courage d’un homme mérite incontesta­blement d’être récompensé, la question de la perception du rôle présidenti­el se pose. Dans quel autre pays – sauf peut-être dans l’Amérique de Donald Trump, ce président anti-immigrants mais façonné par la téléréalit­é – un jeune clandestin généreux se retrouve-t-il, en moins de 24 heures, dans le bureau du chef des armées pour se voir promettre (potentiell­ement, post-régularisa­tion) la nationalit­é française et un emploi chez les sapeurs-pompiers, alors que son pays, menacé par les assauts islamistes, subit une hémorragie problémati­que de sa jeunesse? Quel est le message?

Une autre pensée m’assaille. Il y a bientôt cent ans, l’armistice du 11 novembre 1918 mettait fin à la plus terrible guerre ayant ravagé l’Europe. Des milliers de soldats noirs, issus de pays colonisés par la France, donnèrent alors leur vie ou finirent blessés, amputés, broyés. D’autres génération­s de tirailleur­s les suivirent, en 39-45, puis en Indochine. Avant de chavirer dans l’oubli de l’histoire jusqu’à ce que la République, bien tardivemen­t, les réhabilite peu à peu. Mamoudou Gassama ne connaît peut-être pas cette histoire. Mais il aurait dû faire un voeu dans le bureau élyséen: que le 11 novembre prochain, tous les anciens combattant­s maliens salués et décorés pour leur héroïsme lors des combats pour la France soient conviés et honorés par Emmanuel Macron. Ce geste-là aurait une bien plus grande portée qu’une séance «d’écrouelles» présidenti­elles.

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