Voltaire à Ferney, nouvelle vie de château
Retraite du philosophe, où il vécut à partir de 1760, le domaine de Ferney-Voltaire va rouvrir après trois années de lourds travaux. Emmanuel Macron s'y rend ce jeudi pour saluer une figure majeure des Lumières
Dernière touche avant la venue du président ce jeudi et l’ouverture au public dès vendredi. Céline, qui porte le titre «de restauratrice du patrimoine spécialisée en mobilier et bois doré», puise dans sa palette d’aquarelles une goutte de couleur et la pose sur la dorure blanchie d’un cadre. «On a tout assaini à Paris, on réalise maintenant ce que l’on appelle le dépoussiérage», résume-t-elle.
Il y a trois ans de cela, les 460 objets (mobilier, huiles sur toile, estampes, pastels, lustres, etc.) ont été stockés dans des lieux tenus secrets et restaurés pour certains. Ils sont de retour au château de Ferney-Voltaire, qui rouvre ses portes après une rénovation extérieure et intérieure menée par le Centre des monuments nationaux (CMN). «Le lieu était vieillissant, décati, il n’y avait pas l’électricité partout», indique François-Xavier Verger, du CMN, l’administrateur du château. Voltaire l’a acquis en 1759, y a vécu vingt ans, écrit entre autres le Traité sur la Tolérance et le Dictionnaire philosophique. Il y a milité pour l’affranchissement des serfs du Jura et fait de la Seigneurie de Ferney,qui est alors «un hameau misérable» de 150 âmes, un village prospère de 1200 habitants.
Indésirable à l’époque autant à la cour de France qu’à Genève (le théâtre est alors interdit dans la ville de Calvin), il se retrouve entre France et Suisse «sans dépendre ni de l’une ni de l’autre.» De ce château, il fait «l’auberge de l’Europe», car son intense activité intellectuelle et sa correspondance (10000 lettres) attirent à Ferney, dans le pays de Gex, ville frontalière avec Genève, les esprits des Lumières mais aussi les mondains. A sa mort le 30 mai 1778, le domaine fut vendu et passa entre de nombreuses mains avant que l’Etat ne s’en porte acquéreur en 1999.
Esprit des Lumières menacé
Le maire de Ferney, Daniel Raphoz, à l’époque jeune conseiller municipal, se souvient que des oligarques et des monarques du golfe Persique avaient des vues sur le domaine. Il explique: «Il ne fallait pas laisser partir ce bien et surtout éviter que tous les objets qui forment un patrimoine inestimable ne soient dispersés. Voltaire est un philosophe dont les idées demeurent modernes, sa dénonciation en son temps du fanatisme religieux et de l’intolérance a aujourd’hui un écho particulier.»
L’édile se réjouit de la visite d’Emmanuel Macron, qui sera accompagné de Françoise Nyssen, la ministre de la Culture. «Il soutient notre projet culturel», se félicite-t-il. Un déplacement apprécié par ailleurs diversement. «Il devrait plutôt s’occuper de la SNCF, ce n’est pas lui qui attend sur le quai de la gare», entend-on dans les rues de Ferney. Les élus, eux, sont quasi unanimes. On se souvient ici qu’au Louvre le 7 mai 2017, au soir de sa victoire, Emmanuel Macron avait rappelé que «l’Europe et le monde attendent que nous défendions partout l’esprit des Lumières menacé dans tant d’endroits.»
Plus tard devant le Congrès, il déclarait croire à l’esprit des Lumières, «qui fait que notre objectif est bien l’autonomie de l’homme libre, conscient et critique» et il affichait sa volonté «de faire de notre pays le centre d’un nouveau projet humaniste pour le monde». «C’est le renouveau, c’est le concept des forces agissantes, c’est voltairien», commente, un brin grandiloquent, un partisan. La remise à neuf du domaine a coûté 9 millions d’euros, à la charge exclusive de l’Etat français. Classé monument historique, le château de Voltaire a obtenu en 2012 le label «Maison des illustres» décerné par le Ministère de la culture.
Tapis reconstitués
Le chantier est qualifié «d’envergure». Dans un premier temps, désamiantage et traitement contre la mérule (champignon). Puis pose d’une nouvelle toiture et reconstitution des façades construites avec une pierre à bâtir tirée d’un grès argileux suisse. La véranda, avec vue sur le Mont-Blanc, a été rafraîchie. A l’intérieur, le parti pris du CNM a été de n’effectuer aucune modification majeure de la volumétrie, et le sens de la visite est identique à celui emprunté jadis par les hôtes de l’écrivain. On passe ainsi de l’antichambre à la salle à manger-bibliothèque, le cabinet des tableaux, la chambre et le salon, les appartements de Madame Denis (sa nièce et maîtresse de maison).
Des cartels numériques accompagnent l’ensemble de ces pièces historiques. Les collections proviennent essentiellement du fonds ancien du château acquises en 1999 et complétées par des dépôts du mobilier national ainsi que d’autres musées de France. Celui de Bourg-en-Bresse a déposé une montre fabriquée à Ferney. La Voltaire Foundation d’Oxford a prêté pour un an Le Dîner des philosophes peint par Jean Huber en 1972, tableau allégorique qui incarne le bouillonnement philosophique de l’Europe des Lumières et réunit Condorcet, d’Alembert et Diderot même si ce dernier ne s’est jamais rendu à Ferney.
Le CNM a déniché en 2017 sur le marché de l’art un buste de Voltaire sculpté en 1778 par Houdon (1741-1828). Catherine II de Russie, admiratrice du philosophe, qui a acquis la bibliothèque et les manuscrits de Voltaire à sa mort (conservés désormais à la Bibliothèque nationale de Russie), avait fait réaliser une maquette parfaite du château et un catalogue des tissus qui ornaient le château. Conservé à Saint-Pétersbourg, il a permis de reconstituer les tapisseries et textiles qui ont pu être retissés à l’identique.
Hôte hypocondriaque
La remise à neuf du domaine a coûté 9 millions d’euros, à la charge exclusive de l’Etat français
Genève, forcément, a fourni aussi des pièces iconiques prêtées par les Délices, qui abritent dans le quartier de Saint-Jean l’Institut et le Musée Voltaire. Dont une série d’estampes fixées en cimaise dans le Cabinet des Tableaux. Figure notamment Voltaire et les paysans de Jean Huber, François-Xavier Verger juge que ce fut un grand honneur de coopérer ainsi avec les voisins genevois «amicaux et confiants».
C’est en 1754 que Voltaire, persona non grata à Paris, s’installe à Genève. Il a eu vent de la «fabrique» des frères Cramer, libraires qui pourraient l’aider à publier ses oeuvres complètes. Il achète sous un prête-nom (les catholiques ne peuvent pas accéder à la propriété) la maison des Délices. Il y reste cinq années, y rédige le Poème sur le désastre de Lisbonne et surtout Candide.
Il donne en privé des pièces de théâtre mais très vite les pasteurs l’invitent à ne plus rien publier contre la religion tant qu’il vit en ville. Il rejoint alors Ferney. L’intérieur rénové donne également à voir ce meuble emblématique qu’est le lit de Voltaire. Hypocondriaque notoire, il recevait souvent ses hôtes alité.
Après sa mort, la chambre devient un lieu de pèlerinage. Chateaubriand, Flaubert, Dumas, Gogol, Stendhal sont passés. Pièce sans doute la plus surprenante, le monument au coeur a été lui aussi restauré. Le marquis de Villette, qui racheta le château à la nièce de Voltaire, avait pris la décision de faire de la chambre du «patriarche» un sanctuaire. Il commanda un monument en argile marbre destiné à recevoir le coffret de vermeil censé contenir le coeur de Voltaire. Une plaque mentionne en lettres d’or: «Son esprit est partout et son coeur est ici.»
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