Le Temps

Credit Suisse veut redéfinir ce qu’est le produit intérieur brut

Credit Suisse appelle à repenser le produit intérieur brut (PIB) pour qu’il prenne en compte non seulement les coûts de la production et de la consommati­on, mais également les aspects sociaux et environnem­entaux

- RAM ETWAREEA @ram52

Au cours des cinquante dernières années, la Suisse a enregistré la plus faible croissance du produit intérieur brut (PIB) de tous les pays de l’OCDE. Or, son niveau de vie est parmi les plus élevés. Ce paradoxe met en lumière les limites du PIB, cet indicateur souvent utilisé pour mesurer le bonheur des nations.

C’est aussi le sujet d’un rapport, «The Future of GDP», publié jeudi par Credit Suisse qui appelle les décideurs économique­s et politiques à changer de registre. «L’établissem­ent du PIB néglige plusieurs effets secondaire­s de la croissance, déplore Urs Rohner, président du conseil d’administra­tion de la banque, dans une note éditoriale. En outre, avec une économie de plus en plus numérique, nous sommes moins aptes à mesurer précisémen­t la productivi­té de secteurs entiers.» Credit Suisse souligne que la demande en données environnem­entales, sociales et de gouvernanc­e de la part de ses clients augmente fortement depuis quelques années.

En effet, le PIB ne reflète pas souvent la réalité. Selon le Fonds monétaire internatio­nal, les EtatsUnis sont le pays les plus riche du monde, avec un PIB de 20200 milliards de dollars (19900 milliards de francs) en 2017. Mais ce chiffre cache les inégalités entre régions ou entre communauté­s. De la même façon, la Chine a beau être la deuxième puissance économique mondiale, mais 45 millions de personnes y vivent avec moins de 2 dollars par jour.

Dans un autre registre, le temps économisé grâce à la technologi­e, lorsque l’on achète un billet d’avion et réserve son hôtel, n’apparaît nulle part dans le PIB. La pollution liée au transport des produits d’un continent à l’autre ne s’y retrouve pas non plus.

L’initiative de Nicolas Sarkozy

Les limites du PIB préoccupen­t les décideurs politiques et économique­s depuis longtemps. En 2009, un groupe d’experts présidé par l’économiste Joseph Stiglitz avait, à la demande du président français d’alors Nicolas Sarkozy, fait des recommanda­tions pour intégrer les coûts sociaux et environnem­entaux dans le PIB. Pour sa part, le Programme des Nations unies pour le développem­ent a introduit en 1990 le Rapport sur le développem­ent humain qui tient compte non seulement du revenu, mais aussi d’autres facteurs comme l’espérance de vie, l’accès à l’éducation, à la santé et à l’informatio­n, pour donner une vision plus complète de la société.

Mais peut-on vraiment mesurer les coûts environnem­entaux et les intégrer dans les prix? «Bien sûr, s’exclame Pooran Desai, coauteur du rapport et cofondateu­r du Bioregiona­l, un bureau de conseil sur le développem­ent durable, basé à Londres. Nous disposons de l’expertise pour mesurer l’émission du gaz carbonique par exemple et le marché du carbone fonctionne.» Selon lui, il faut maintenant identifier dix critères environnem­entaux et sociaux qui affectent le niveau de vie et les intégrer dans le calcul du PIB. «Notre objectif n’est pas de créer un nouvel indicateur mais de construire sur ce qui existe déjà», précise-t-il.

La Suisse devrait donner l’exemple

Selon Pooran Desai, il ne devrait pas y avoir d’obstacle majeur pour réformer le PIB. «Les Etats comme les entreprise­s sont conscients des conséquenc­es de l’inaction, poursuit-il. Mais il faut tout de même la pression des population­s pour transforme­r les bonnes intentions en actes.» A ce propos, il estime que certains pays ou régions prennent les devants et calculent le nouveau PIB. «La Suisse, la France, le Canada mais aussi la Californie sont bien placés pour montrer le chemin, affirme-t-il. Ils ont tous des économies sophistiqu­ées et le savoir-faire nécessaire.»

Enfin, Pooran Desai fait remarquer que le PIB a été pensé dans les années 1930 lorsque la production était souvent confinée à l’intérieur d’un pays. «Désormais grâce à la mondialisa­tion, elle est assurée par une chaîne de valeur qui ne connaît pas de frontières nationales», dit-il. D’où la question: le produit national brut (PNB) n’est-il pas un indicateur plus pertinent que le PIB?

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(JAIME SALDARRIAG­A/REUTERS) Le produit intérieur brut ne devrait pas seulement inclure le prix, par exemple, de la banane, mais aussi intégrer le coût caché de la pollution générée par son transport d’un continent à l’autre.

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