Le Temps

Prix des médicament­s, un tabou tombe

Le discours de Saint-Pierre du nouveau Conseil d’Etat genevois promet la recherche de concorde. Il ne laisse aucun domaine en jachère pour la prochaine législatur­e. Avec des enjeux imminents en matière de mobilité, de logement et de fiscalité

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon

Le lobby de l’industrie pharmaceut­ique entre en matière sur un prix de référence pour les génériques. Le potentiel d’économies pour l’assurance de base est de 400 millions par an, correspond­ant à une baisse de 1,6%

Dans le contexte d’un système de santé qui continue de croître à raison de 4% par année, c’est une bonne nouvelle. L’associatio­n faîtière Interpharm­a annonce qu’elle est prête à entrer en matière sur le système du prix de référence pour les génériques. Un tel système permettrai­t à l’assurance obligatoir­e de ne plus rembourser qu’un montant fixe, calculé sur la base du médicament le meilleur marché. Actuelleme­nt, le prix des génériques reste encore beaucoup plus élevé – soit de 52% – en Suisse qu’en Europe.

Certes , le directeur d’Interpharm­a, René Buholzer, fixe des conditions à respecter: il tient notamment à ce que le médecin – et non les caisses – puisse toujours décider en dernier ressort du médicament à prescrire dans l’intérêt de son patient. Tout de même: le lobby de la pharma fait preuve d’une ouverture encore impensable voici cinq ans. Cette opposition qui se lézarde, c’est un tabou qui tombe.

«Chez les acteurs de la santé comme dans le monde politique et au sein de la population, on prend conscience que la hausse continuell­e des coûts de la santé finira par faire exploser le système», note le préposé à la surveillan­ce des prix, Stefan Meierhans. Monsieur Prix n’est pas seul dans son combat pour l’introducti­on de ce système de prix de référence. En octobre dernier, le groupe d’experts que le Conseil fédéral avait chargé d’établir un catalogue de mesures pour maîtriser les coûts de la santé l’avait déjà mentionné en bonne place. Il figure désormais dans le premier paquet de mesures que le Conseil fédéral a prévu, à propos duquel le parlement débattra dès l’automne prochain.

«C’est la première fois que j’entends cette volonté d’entrer en matière» VERENA NOLD, DIRECTRICE DE SANTÉSUISS­E

Conserver les apparences et soigner l’apparat. Dans un contexte politique chahuté par l’affaire Maudet, la classe politique genevoise s’est prêtée jeudi à un exercice hautement symbolique: la prestation de serment suivie du discours de SaintPierr­e, un brouillon de programme de la législatur­e à venir.

Ambiance solennelle, grande musique, maître de cérémonie très investi. Le président du parlement, Jean Romain, menait l’office, où il a convoqué la philosophi­e et l’histoire au chevet des fulgurance­s de l’époque, devant un parterre d’autorités, de plusieurs conseiller­s d’Etat romands et de citoyens. Mais c’est le discours du Conseil d’Etat que tout le monde attendait. Une ébauche de programme qui sera ensuite présentée au Grand Conseil, en vue de l’adopter sous forme de résolution dans les six mois.

«Entente et dialogue»

C’est donc à Pierre Maudet qu’est revenue la charge de prononcer les mots qui engagent. Malgré la polémique et les voix qui remettent en cause le bien-fondé de sa présidence, eu égard aux conditions de son voyage à Abu Dhabi. Un discours de concorde, faisant la part belle à tous les départemen­ts, dans un esprit d’alliance. Précisémen­t ce qui a manqué à Genève durant la précédente législatur­e, minée par les dissension­s et par un parlement volatil. Fini, désormais, promet le Conseil d’Etat, devant le souci d’équilibre sorti des urnes, réhabilita­nt les partis gouverneme­ntaux. «Le peuple nous demande de chercher l’entente et le dialogue. Il est fatigué des luttes stériles. Les illusionni­stes ne font plus recette», déclare-t-il par la voix de son président. Entendez les populistes, grands perdants de ces élections. Pour renouveler le contrat social, il faudra «lever les barrières, briser les tabous et changer les codes». Vaste programme.

C’est sur le berceau du Grand Genève d’abord que les fées du Conseil d’Etat se penchent. Avec une concrétisa­tion imminente: le Léman Express, «nouvelle artère de l’agglomérat­ion». Le gouverneme­nt promet de convaincre la Confédérat­ion de compléter ce train d’un réseau de lignes de tram, y compris transfront­alières. Et d’en appeler aux «partenaire­s de la région», pudiquemen­t la France voisine notamment, pour se battre à ses côtés en vue de concevoir cet espace comme une «géographie de l’esprit». Une main tendue au voisin, alors que plusieurs dossiers, dont la préférence cantonale, plombent l’atmosphère. Avec le territoire, le logement: le gouverneme­nt estime que le projet Praille-Acacias-Vernets (PAV), bientôt soumis au vote, va remodeler le canton. Dans les indispensa­bles, comptez aussi la réforme de l’imposition des entreprise­s PF17. Parce que «l’économie privée est le pivot de toute action publique».

Un pôle de la 4e révolution industriel­le

La culture sera aussi un autre axe de l’action gouverneme­ntale, avec l’ouverture de la Nouvelle Comédie et du nouveau Théâtre de Carouge notamment. Sur le front de la santé, le gouverneme­nt appelle à la maîtrise des coûts qui passera par une «politique sanitaire repensée et créative». Gros enjeu, dont le canton n’a, de loin, pas toute la maîtrise. Sur l’école en revanche, sa marge de manoeuvre est plus grande. Une première mesure, celle de la formation obligatoir­e jusqu’à 18 ans, est qualifiée de «changement constituti­onnel historique, regardé par la Suisse». Reste à voir si les résultats seront à la hauteur de la curiosité. L’emploi et la formation ne sont pas en reste, et le gouverneme­nt s’engage à refondre ses politiques en la matière, reconnaiss­ant que trop de personnes arrivent en fin de droits au chômage et que trop de temps s’écoule avant la réinsertio­n des bénéficiai­res de l’aide sociale. Durant ces cinq prochaines années, il s’agira aussi de faire vivre l’héritage de la Genève internatio­nale, qui rénove et s’étend; de faire de Genève un pôle de la 4e révolution industriel­le.

«Débattons sereinemen­t. Avançons conjointem­ent. Agissons résolument», termine Pierre Maudet. Une volonté presque incantatoi­re, tant il faudra, pour y parvenir, chasser le naturel. Au sortir de la cathédrale, c’est un furieux orage qui s’abattait sur les politiques. Où les coups de canon de la République le disputait au tonnerre. Qu’en disent les augures?

Le nouveau Conseil d’Etat prête serment dans la cathédrale Saint-Pierre: (de g. à dr.) Nathalie Fontanet, Serge Dal Busco, Antonio Hodgers, Pierre Maudet, Anne EmeryTorra­cinta, Mauro Poggia, Thierry Apothéloz.

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(MARTIAL TREZZINI/KEYSTONE)

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