Le Temps

Le nouvel élan du château Saint-Maire

MONUMENT Longtemps inaccessib­le, le château de Lausanne deviendra plus facile à visiter après sa luxueuse restaurati­on. Exploratio­n des lieux, en compagnie des architecte­s chargés du chantier

- SYLVAIN BESSON @SylvainBes­son

Un cube intimidant, inaccessib­le et inconnu du public: le château Saint-Maire, dans la Cité de Lausanne, est le plus secret des grands monuments vaudois. Mais cet équivalent local du Kremlin – une forteresse qui abrite le siège du pouvoir politique depuis des siècles – va enfin révéler ses charmes à l’issue de sa restaurati­on, qui a duré trois ans et coûté près de 23 millions de francs.

La journée portes ouvertes qui a attiré 3200 visiteurs, le 14 avril, n’était qu’un début. A l’avenir, il sera possible pour des particulie­rs de louer une jolie salle aménagée sous les combles du château, ainsi que ses immenses caves. La presse sera conviée dans un nouvel espace au sous-sol, tandis qu’un espace visiteur offrant un accès limité, près de l’entrée principale, s’ouvrira cet été. Un livre retraçant la restaurati­on doit être publié par l’Etat de Vaud cet automne.

«Nous avons la volonté d’ouvrir plus», confirme le chancelier du canton, Vincent Grandjean. Pendant les travaux, le château ne pouvait pas être visité. Avant la restaurati­on, un groupe par semaine y était admis en moyenne pour une visite guidée. La fréquence devrait augmenter dès cet été: deux, trois, voire quatre visites par semaine, soit le soir à 17h, soit le samedi.

Effet de curiosité

«Il y aura certaineme­nt un effet de curiosité suite à la restaurati­on, ajoute Vincent Grandjean. Notre volonté est de faire face à cette demande.» Signe inédit d’ouverture, le site internet du canton va pour la première fois donner des indication­s sur les possibilit­és de visite…

La rénovation a exhumé des éléments qui permettent d’imaginer la vie fastueuse des princesévê­ques de Lausanne au XVe siècle. Dans l’une des tourelles, l’évêque, qui était aussi comte de Vaud, pouvait contempler ses possession­s terrestres au milieu d’un décor d’arbres aux feuillages richement fournis et aux troncs ornés d’écussons. Le dessin vigoureux, qui rappelle les demeures seigneuria­les du val d’Aoste, évoque ce moment si particulie­r où le Moyen Age finissant s’apprêtait à basculer dans la Renaissanc­e.

Outre le guet, la fonction probable de ces tourelles aménagées était de servir de «boudoir», selon l’architecte Nicolas Delachaux. Guillaume de Menthonay, qui régna sur Lausanne de 1394 à 1406, a orné sa tourelle de lettres «G» surmontées de sa couronne comtale.

Fresques allégoriqu­es

Plus bas, au centre de l’épaisse tour, les visiteurs de marque étaient reçus dans un long vestibule orné de fresques allégoriqu­es du début du XVIe siècle. Uniques en Suisse romande par leur richesse, elles ont fait l’objet d’un simple rafraîchis­sement. La «salle des décors» attenante, en revanche, a été restaurée de fond en comble en utilisant une méthode inédite en Suisse, voire en Europe.

A partir de fragments de peintures, très abîmés par les badigeonna­ges successifs, le restaurate­ur Eric Favre-Bulle et ses équipes ont créé un papier peint qui reproduit l’ornement initial: d’élégantes colonnes enrobées de feuillages, sur un fond noir orné de fleurs. Il s’agit d’un collage numérique, qui assemble les photos de petits morceaux intacts du décor d’origine. Le procédé «évite la subjectivi­té» d’une imitation par un restaurate­ur humain, estime Eric Favre-Bulle.

Par endroits, la peinture ancienne abîmée a été laissée en place. Perdue au milieu des fragments, la figure d’un jeune homme barbichu, très évocatrice de cette brève Renaissanc­e lausannois­e, contemple le visiteur avec des yeux hallucinés.

Un château «indestruct­ible»

En plus de l’exhumation des décors, la restaurati­on a surtout rendu le château plus fonctionne­l. L’édifice abrite en permanence une trentaine d’employés de l’Etat, les bureaux de la conseillèr­e d’Etat Béatrice Métraux, ainsi que les séances du gouverneme­nt vaudois chaque mercredi. Une entrée de service, des bureaux spacieux et un ascenseur – creusé dans les murs de 3 mètres 60 d’épaisseur – ont été aménagés.

Sous les combles, une plateforme servant de salle de réunion a été délicateme­nt posée au-dessus des poutres médiévales, brisées par les réaménagem­ents successifs et dont certaines ont été remplacées. «C’était le seul problème statique du bâtiment, sinon le château est indestruct­ible», explique l’architecte Danilo Mondada, qui a supervisé le chantier de restaurati­on aux côtés de Nicolas Delachaux et Christophe Amsler.

Devenue moderne, lumineuse et avenante, la forteresse du pouvoir vaudois est prête à servir quelques siècles de plus.

 ?? (EDDY MOTTAZ POUR LE TEMPS) ?? Après une importante rénovation (et la mise au jour de quelques fresques qui avaient été recouverte­s au fil du temps), le centre du pouvoir vaudois a rouvert ses portes – aux élus, mais aussi au public. Visite guidée.
(EDDY MOTTAZ POUR LE TEMPS) Après une importante rénovation (et la mise au jour de quelques fresques qui avaient été recouverte­s au fil du temps), le centre du pouvoir vaudois a rouvert ses portes – aux élus, mais aussi au public. Visite guidée.
 ?? (EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) ?? A gauche, escalier moderne aménagé pour accéder aux combles; à droite, fresques de la salle des décors et l’unique vitrail médiéval conservé du château.
(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) A gauche, escalier moderne aménagé pour accéder aux combles; à droite, fresques de la salle des décors et l’unique vitrail médiéval conservé du château.

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