Le Temps

L’Espagne se défait de Mariano Rajoy

Le chef du gouverneme­nt espagnol Mariano Rajoy, coulé par un scandale de corruption, a été renversé vendredi par le parlement. Il a dans le même temps accordé sa confiance au socialiste Pedro Sanchez.

- LUIS LEMA @luislema

C’était il y a quelques jours. La justice autorisait l’homme d’affaires Francisco Correa à puiser dans son compte ouvert auprès de Credit Suisse, à Genève. Le montant à prélever: 271000 euros, destinés à indemniser le gouverneme­nt régional de Valence pour des contrats truqués lors de l’organisati­on d’une foire du tourisme, dans les années 2000. Quelques jours auparavant, le 8 mai, c’étaient 2 millions d’euros que le même Correa était autorisé à rapatrier de Suisse pour faire face à une autre condamnati­on, en lien avec le financemen­t illégal du Parti populaire (PP).

Francisco Correa est l’un des principaux accusés dans la gigantesqu­e affaire de corruption qui a connu son paroxysme vendredi, avec le renverseme­nt par le parlement du premier ministre Mariano Rajoy. Cette affaire, qui possède d’innombrabl­es ramificati­ons, est sur le devant de la scène espagnole depuis plus de huit ans. C’était le juge Baltasar Garzon (démis depuis lors) qui avait ouvert les feux en 2009. La réaction d’un Mariano Rajoy qui n’était pas encore premier ministre à l’époque, mais qui tenait déjà les rênes du Parti populaire, est restée gravée dans les mémoires: «Tout cela n’est pas un complot du PP, mais un complot contre le PP», assénait-il.

29 condamnés pour un total de 351 années de prison

Il a fallu 1700 pages à la justice espagnole pour démentir Rajoy. Et encore, le verdict publié la semaine dernière – qui reste sujet à un possible recours – ne concerne que la «première période» de ce qui est devenu en Espagne, par blague, le cas Gürtel (correa signifie «ceinture» en espagnol, ou Gürtel en allemand). Francisco Correa a été condamné à 51 ans de prison par les magistrats de l’Audience nationale. L’autre grand accusé est Luis Barcenas, l’ancien trésorier du PP, condamné à 33 ans de prison et au remboursem­ent de 44 millions d’euros. En tout: 29 condamnés, pour un total de 351 années de prison.

Signe de la profondeur des dégâts: les plus de 2 millions d’euros sollicités à Credit Suisse ces derniers jours concernent encore des affaires connexes, qui n’étaient pas couvertes par ce verdict. Selon les informatio­ns disponible­s, les comptes bancaires ouverts en Suisse par Francisco Correa recelaient plus de 21 millions d’euros. Alors que la communauté autonome valencienn­e était aux mains du PP, l’homme y avait à l’époque beaucoup d’amis. Concession­s irrégulièr­es de services publics, trafic d’influence, commission­s pouvant atteindre 40% de la valeur des contrats… Correa, à la belle époque, était propriétai­re entre autres d’une cinquantai­ne de résidences, en Espagne, aux Etats-Unis ou en Amérique latine, de deux bateaux et d’une vingtaine d’automobile­s de luxe.

Opérations immobilièr­es et ventes d’oeuvres d’art

L’homme d’affaires n’était pas le seul à avoir aussi un important port d’attache à Genève. L’enquête de la justice, mais également les aveux des divers accusés tâchant de sauver leur propre peau, ont mis en évidence les fréquents voyages que faisait Luis Barcenas dans la Cité de Calvin, mallette(s) emplie(s) de billets à la main. Selon le juge espagnol Pablo Ruiz, le trésorier du PP disposait à Genève d’un compte auprès de la Dresdner Bank, garni d’un montant variant entre 11 et 22 millions d’euros entre les années 2005 et 2009. Les cadres de la banque ne manquaient pas une occasion d’aller rendre visite à Madrid à celui qu’ils considérai­ent comme un client particuliè­rement «important».

Pour justifier sa fortune, Barcenas mettait en avant des opérations immobilièr­es ou des ventes d’objets d’art. L’homme n’apportait jamais de factures prouvant la légalité de ces transactio­ns. Mais alors que les cadres de la banque commençaie­nt à avoir des doutes et demandaien­t «davantage d’informatio­ns» aux collaborat­eurs qui traitaient avec lui, Barcenas se faisait menaçant: le client espagnol «possède d’autres gros comptes» à Genève, mettait en garde une responsabl­e, dans un «mémo» de la banque daté du 31 août 2005 et publié en Espagne. Moralité: mieux valait se montrer peu regardant envers ce client, au risque sinon qu’il aille voir ailleurs…

Ces millions d’euros qui transitaie­nt par les comptes suisses servaient à alimenter une «caisse noire», finançant le PP hors de tout cadre légal, comme l’a démontré la justice. Jusqu’au bout, Mariano Rajoy aura pourtant nié être au courant de ces procédés. «De la corruption, il y en a partout. Laissons cela et occupons-nous de ce qui est important pour les Espagnols», disait-il jeudi devant le parlement, avant d’être destitué.

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