Le Temps

Une saccade pour changer d’époque

- LUIS LEMA @luislema

L’Espagne s’est résolue à jeter aux oubliettes son inoxydable premier ministre Mariano Rajoy. Ou plutôt – dans une démarche sans précédent pour ce pays – ce sont les parlementa­ires qui se sont entendus en majorité pour destituer le chef du gouverneme­nt et pour changer d’époque. Il y a peu encore, les électeurs espagnols ne l’avaient pas entendu de cette oreille qui avaient renouvelé leur soutien, bien que très limité, au Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy.

Entre-temps, il est vrai, c’est la justice espagnole qui s’était chargée de terrasser le premier ministre, sorti dans le déshonneur. Les conclusion­s des juges ne laissaient aucune place au doute, tant ils insistaien­t sur l’existence d’un système de corruption «institutio­nnelle» qui faisait du PP davantage un distribute­ur illégal de prébendes qu’un parti politique oeuvrant au bien commun.

Cette omniprésen­ce de la corruption a empoisonné l’Espagne depuis des décennies, comme une nécrose qui a tout pourri et qui a aggravé, d’une manière ou d’une autre, tous les grands maux dont souffre le pays: de la crise économique à la décrédibil­isation de la classe politique, en passant aussi, hélas, par la question de l’indépendan­tisme catalan ou basque. Aucune de ces questions ne se résume à la corruption. Mais aucun de ces gros points noirs n’aurait pris une telle importance sans la persistanc­e à leur côté de ce système quasi mafieux mis en lumière par la justice espagnole. La saccade du parlement espagnol est donc une bonne nouvelle. Presque une libération, après que Mariano Rajoy eut passé ces dernières années à faire le dos rond et à nier l’évidence tandis que s’accumulaie­nt les preuves irréfutabl­es et que s’ajoutaient encore de nouveaux scandales.

Cette libération ne sera pourtant qu’éphémère. Malgré son triomphe au parlement espagnol, Pedro Sanchez incarne un Parti socialiste pratiqueme­nt moribond et dont l’absence de vision n’a fait que se confirmer encore ces derniers temps, à la lumière de la crise catalane. Il a fallu le soutien de… 22 partis et micro-partis au socialiste pour détrôner Mariano Rajoy. Ils apportent avec eux un brouillami­ni d’intérêts entremêlés, parfois contradict­oires, qui aura sans doute tôt fait d’asphyxier le nouveau chef du gouverneme­nt. Qu’en sera-t-il des défis qui continuent de menacer l’Espagne, au rang desquels, précisémen­t, sa périlleuse fragmentat­ion politique? Qu’en sera-t-il de l’affaire catalane, face à laquelle la méthode Rajoy (appliquée avec le soutien des socialiste­s) n’a jusqu’ici rien arrangé? L’Espagne vient de s’alléger d’un fardeau et pourra courir plus librement. Encore reste-t-il à déterminer clairement la direction de la course.

Cette libération ne sera qu’éphémère

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