Le Temps

Les jours des 23 millions de Taïwanais sont comptés

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Ces jours-ci, la presse taïwanaise s’étonnait: «Il est remarquabl­e qu’en Suisse, un des pays les plus libres sur terre, l’influence du Parti communiste chinois puisse interférer de telle sorte avec la liberté d’expression.» Le dimanche 20 mai, sur la place des Nations, la police genevoise était intervenue pour interdire le port de t-shirts à l’effigie de Taïwan et les pancartes pro-Taïwan lors d’une manifestat­ion publique organisée par l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS). Pour la Fédération européenne des associatio­ns taïwanaise­s, pas de doute: la police a agi à la demande de la direction de l’OMS, sous l’influence de Pékin, sur sol helvétique.

Cette semaine, on apprenait que le Burkina Faso rompait ses relations diplomatiq­ues avec Taïwan au profit de Pékin. C’est le quatrième pays à le faire en seize mois. Seuls 18 (micro) Etats entretienn­ent encore des liens officiels avec l’île. Tous, Vatican en tête, sont tentés d’abandonner les 23 millions de Taïwanais pour reconnaîtr­e le «principe d’une seule Chine» défendu par Pékin et selon lequel Taïwan serait une «province rebelle».

Depuis l’élection de Tsai Ing-wen, la présidente taïwanaise issue d’un parti indépendan­tiste, en 2016, la Chine populaire est engagée dans une forme de guérilla pour isoler l’île, jusqu’à effacer son nom et toute trace de son existence hormis la version dictée par Pékin. C’est ainsi que Taïwan (la République de Chine) n’est plus admis depuis deux ans, en tant qu’observateu­r, à l’assemblée annuelle de l’OMS. Les compagnies d’aviation, ou toute autre entreprise où que ce soit dans le monde, qui indiquerai­ent l’île de Taïwan – un Etat de facto indépendan­t – hors du champ de souveraine­té chinois sont sommés par Pékin d’appliquer sa lecture. Toutes cèdent, accès au marché chinois oblige.

Faut-il voir dans ce durcisseme­nt de simples mises en garde du régime communiste contre une velléité d’affirmatio­n identitair­e de l’île, comme il l’a déjà fait par le passé? Attachés à leur mode de vie démocratiq­ue et au statu quo avec Pékin, la grande majorité des Taïwanais se raccrochen­t à cet espoir. Mais il se pourrait tout aussi bien que l’existence même de Taïwan soit devenue intolérabl­e aux yeux de Xi Jinping. Cela pour trois raisons au moins.

Contrairem­ent à ses deux prédécesse­urs, le leader chinois veut marquer de son empreinte l’histoire de son pays. La modernisat­ion de la Chine est l’oeuvre collective d’un parti. Xi Jinping veut faire davantage, réaliser enfin la «tâche sacrée»

Il faut éliminer cette exception, c’est une question de légitimité

du PCC: achever la réunificat­ion du territoire chinois, ce que n’avaient réussi à faire ni Mao Tsé-toung ni Deng Xiaoping, à savoir reconquéri­r Taïwan.

Cette mission devient d’autant plus urgente que l’existence même de Taïwan est désormais le principal obstacle à la crédibilit­é du discours de Xi Jinping et de son «rêve chinois». Le modèle autoritair­e de Pékin, rejetant les valeurs universell­es au nom du respect des civilisati­ons, se fracasse sur une réalité incontourn­able: la démocratie n’est pas incompatib­le avec la culture chinoise, la preuve par Taïwan. Il faut donc éliminer cette exception, c’est une question de légitimité.

Si elle ne peut se faire par l’asphyxie économique et diplomatiq­ue, la réunificat­ion interviend­ra par une interventi­on armée. Le rapport des forces s’est totalement inversé depuis vingt ans avec une Chine en voie de devenir une grande puissance navale. Dans les années 1950, c’est le conflit coréen qui avait détourné Mao Tsé-toung d’une attaque contre l’île. Si la réconcilia­tion coréenne devait se confirmer ces prochains mois, une page se tournerait. Pékin, 70 ans plus tard, pourrait se concentrer sur son objectif. Et qui osera encore s’opposer à la

Chine?

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