Le Temps

Sanchez, le pouvoir sur un coup de dé

Le secrétaire général du Parti socialiste a profité d’une décision de justice défavorabl­e à la droite pour chasser du pouvoir le conservate­ur Mariano Rajoy. Mais sa position apparaît des plus fragile

- FRANÇOIS MUSSEAU, MADRID

Dans une récente entrevue, celui qui va désormais prendre les commandes de l’Espagne faisait cette confidence: «J’ai toujours appris à donner le maximum de moi-même jusqu’à ce que l’arbitre siffle la fin de la rencontre.» Cette métaphore sportive fait référence à son passé de basketteur lorsque, jusqu’à l’âge de 21 ans, ce géant de 1 m 90 évoluait dans l’équipe d’Estudiante­s, à Madrid, l’un des meilleurs clubs du pays. D’une persévéran­ce à toute épreuve, Pedro Sanchez, un économiste madrilène de 46 ans, a réussi son pari: évincer du pouvoir le conservate­ur Mariano Rajoy, qui gouvernait depuis plus de six ans en minorité.

Les Cortès, la chambre basse du parlement espagnol, a vécu vendredi une grande première en quarante ans de démocratie. Dans une atmosphère survoltée, âpre et souvent agressive, un chef du gouverneme­nt a dû laisser sa place à un rival du fait d’une motion de censure. Par le passé, trois tentatives de la sorte s’étaient soldées par un échec. L’opération, cette fois, a réussi: par 180 sièges contre 169, l’initiative portée par le chef de l’opposition socialiste, Pedro Sanchez, a été couronnée de succès. «La forteresse construite par Mariano s’est effondrée, analyse le chroniqueu­r Teodoro Gross. Celui qui se disait le garant de la stabilité et de l’unité nationale a perdu la face, vaincu par un rival qu’il méprisait publiqueme­nt.»

Une motion surprise

Le final politique du supposé «incombusti­ble» sexagénair­e Mariano Rajoy est une énorme surprise: il y a quelques jours, lorsque, de manière audacieuse, Pedro Sanchez a déposé une motion de censure contre l’exécutif conservate­ur, «gangrené par la corruption» (dixit l’intéressé), rares étaient ceux qui pensaient que la manoeuvre pouvait renverser l’hégémoniqu­e Parti populaire. D’autant qu’en 2016, le même Pedro Sanchez avait essuyé un échec retentissa­nt alors qu’il essayait déjà de provoquer la chute de Mariano Rajoy. Mais cette fois, l’occasion était trop belle: pour la première fois, un tribunal (l’Audience nationale, à Madrid) a condamné la formation conservatr­ice pour avoir «institué un système de corruption institutio­nnalisé» et publiqueme­nt mis en doute «la crédibilit­é» de Mariano Rajoy lorsque ce dernier a tenté de minimiser la gravité des scandales à répétition qui éclabousse­nt sa formation. Pedro Sanchez, qui attendait son heure, n’a pas hésité à se jeter sur sa proie.

«Je ne suis et ne serai fidèle qu’aux militants» PEDRO SANCHEZ, NOUVEAU PREMIER MINISTRE ESPAGNOL

L’Espagne se découvre aujourd’hui un nouveau chef du gouverneme­nt singulier. A priori, à suivre sa récente trajectoir­e et en dépit de son physique avenant de don juan madrilène, Pedro Sanchez avait tout du perdant. En décembre 2015, face au Parti populaire amoindri de Mariano Rajoy, il a essuyé un échec retentissa­nt et obtenu, avec 90 députés, le pire résultat du Parti socialiste depuis le retour de la démocratie. En juin 2016, alors qu’avaient lieu des élections générales anticipées, il a perdu de nouveau le scrutin et sa moisson est tombée à 85 sièges. Il a tenté alors de former un gouverneme­nt minoritair­e avec les radicaux de Podemos, qui l’ont snobé, tout en le menaçant de lui infliger un sorpasso (un dépassemen­t) historique.

Son chemin de croix s’est poursuivi puisque, en octobre de la même année, Pedro Sanchez a été défenestré par les cadres de son parti, qui supportent mal son style «perso», son ambition démesurée, son mépris des barons régionaux et son invocation incessante de la base – «Je ne suis et ne serai fidèle qu’aux militants», répètet-il souvent. A ce moment-là, tout le monde pensait que Pedro Sanchez était un cadavre politique. C’était mal connaître ce docteur en économie «dévoré d’ambition et à l’orgueil très fort», comme le décrit un député socialiste qui le connaît bien. C’est lorsqu’il est au plus bas que ce phénix obstiné et à la volonté d’acier renaît de ses cendres.

Flair politique

Son retour est survenu le 21 mai 2017. Sa chance a tenu à l’esprit du temps, qui veut qu’au nom de la démocratie interne et sur fond de défiance des appareils, s’imposent des primaires. Après avoir sillonné toutes les capitales de province et goûté aux bains de foule dans les endroits les plus reculés, l’homme a surpris son monde en battant la favorite Susana Diaz, la toute-puissante présidente régionale de l’Andalousie, aux élections à la tête du parti. «La fortune lui a donné l’occasion de jouer un rôle central, analyse le politologu­e Fernando Vallespin. Sanchez a parié sur un rapprochem­ent avec les militants qui lui ont conféré le pouvoir.» Son flair politique a fait le reste.

La victoire de Pedro Sanchez sera difficile à gérer, cependant. «C’est avant tout un triomphe personnel, souligne le commentate­ur Ruben Amon. Reste à voir si sa prouesse peut se transmuer en projet collectif.» Il y a de quoi douter: les sept formations qui ont appuyé la motion de censure ont en effet pour motivation le rejet d’un gouverneme­nt corrompu et non l’adhésion à un nouveau candidat. De fait, aucun de ces partis n’a d’atomes crochus avec les socialiste­s, la plupart ont même bien des raisons d’être leurs ennemis: Podemos, le grand rival de Sanchez à gauche; les séparatist­es basques de Bildu; et, surtout, les sécessionn­istes catalans de l’ERC et du PDeCAT, le mouvement de Carles Puigdemont, l’ancien chef de l’exécutif catalan réfugié en Allemagne et poursuivi par la justice espagnole pour «rébellion». De l’avis général, la très hétéroclit­e coalition emmenée par Pedro Sanchez ne tardera pas à imploser. D’où la très vraisembla­ble tenue d’élections anticipées, qui pourraient avoir lieu au début de l’année prochaine.

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(PIERRE-PHILIPPE MARCOU/POOL VIA REUTERS) Le nouveau premier ministre espagnol, Pedro Sanchez (à gauche), et l’ancien, Mariano Rajoy, vendredi au parlement.

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