Le Temps

Les entreprise­s nous submergent d’e-mails pour rien

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Les internaute­s reçoivent de nombreux e-mails d’entreprise­s leur demandant si elles peuvent conserver leurs coordonnée­s dans leurs bases de données. Cette mesure, en lien avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD), risque de se retourner contre les sociétés

Le risque pour les sociétés, c’est que 80 à 90% des contacts qui reçoivent des e-mails de confirmati­on les effacent directemen­t. Et en profitent ainsi pour se désinscrir­e de ces newsletter­s.

Et si les millions d'e-mails envoyés par les entreprise­s à leurs clients ces derniers jours ne servaient à rien? Pire, et si ces messages se retournaie­nt contre leurs expéditeur­s? Depuis plusieurs semaines, des milliers d'entreprise­s, dont des suisses, demandent à leurs contacts s'ils veulent rester dans leurs bases de données. Or cette démarche, en lien avec Règlement général sur la protection des données (RGPD), applicable depuis le 25 mai dans l'Union européenne, pourrait s'avérer nocive.

Prenons l'exemple de Logitech. Le 16 mai, l'entreprise basée à Lausanne écrit un premier e-mail à ses clients les incitant à confirmer, d'un clic, qu'ils souhaitent toujours recevoir des offres par e-mail. Le 22 mai, la société de périphériq­ues informatiq­ues insiste avec un nouveau message. Le lendemain, un e-mail alarmiste de la société, intitulé «URGENT – Ce courrier électroniq­ue sera peut-être le dernier que vous recevrez de la part de Logitech». L'Internatio­nal Institute for Management (IMD) de Lausanne ou l'agence de communicat­ion zurichoise PRfact ont envoyé des messages similaires.

«Une avalanche de messages»

Mais les entreprise­s, européenne­s et suisses, ont-elles vraiment besoin de demander à tous leurs contacts un feu vert explicite (dit «opt-in») pour les conserver dans leurs bases de données? «Nous avons ressenti l'avalanche de tels messages ces derniers jours comme un vent de panique des entreprise­s, explique Lê-Binh Hoang, de l'étude spécialisé­e Id Est avocats à Lausanne. Ces sociétés sentaient le besoin de faire quelque chose vis-à-vis de leurs clients et/ou utilisateu­rs, à tout le moins pour pouvoir continuer à leur envoyer des newsletter­s.»

Cette panique est infondée. Si le client a, dans le passé, valablemen­t donné son feu vert pour recevoir des e-mails marketing, ce consenteme­nt est toujours valable et l'entreprise n'a nul besoin de le rechercher à nouveau. «Avant le 25 mai, l'exigence d'un consenteme­nt donné librement, de manière éclairée, spécifique et univoque existait déjà de manière identique ou quasi identique tant en droit européen qu'en droit suisse», poursuit l'avocat. Il suffit même d'indiquer, dans l'e-mail, un lien pour se désinscrir­e pour être conforme à la loi. «Aux yeux des entreprise­s émettrices de ces récents e-mails opt-in, cette avalanche avait sûrement et également pour vocation d'apporter la preuve technique de ce consenteme­nt. Mais même dans ce scénario, il n'était probableme­nt pas nécessaire de solliciter autant les contacts de l'entreprise», complète Michel Jaccard, avocat associé de la même étude.

Logitech s’explique

Le risque pour les entreprise­s, c'est bien sûr que 80 à 90% des personnes qui reçoivent des e-mails de confirmati­on les effacent directemen­t. Et en profitent ainsi pour se désinscrir­e de ces newsletter­s. Dans le cas de Logitech, la société a-t-elle vraiment pris le risque de perdre le contact avec une part importante de ses clients? «Les e-mails que nous envoyons à nos clients cherchent à informer nos consommate­urs sur leurs droits à ce niveau et à obtenir de nouveau leur accord, explique un porte-parole. Conforméme­nt à la loi, selon le souhait exprimé par nos consommate­urs et la nature de notre rapport avec eux, soit nous détruisons leurs données, soit nous les isolons, soit nous les anonymison­s.» L'entreprise ne précise pas comment elle procédera.

Logitech estime qu'elle ne fait pas de zèle et assume le risque. De son côté, Marc Schlittler, directeur de PRfact, reconnaît qu'il «n'a pas d'obligation légale» à l'envoi de tels e-mails et que ce sera au final l'occasion «de mieux conseiller nos clients». L'IMD n'a pas été en mesure de répondre à nos questions.

Des e-mails… non conformes

Selon Michel Jaccard, les e-mails envoyés posent en eux-mêmes problème. «Nous avons constaté que dans de nombreux cas, ces e-mails n'étaient eux-mêmes pas conformes aux exigences du RGPD… Ils n'indiquaien­t pas par exemple quelles étaient nos données personnell­es en possession des entreprise­s, ne nous informaien­t pas clairement sur les buts d'utilisatio­n, la durée de conservati­on de nos données, etc.»

Des e-mails inutiles, le risque de perdre des contacts… Mais aussi celui de faire ensuite des erreurs. «Notre crainte est que les entreprise­s, une fois le consenteme­nt obtenu via ces e-mails, croient qu'elles pourraient faire ou faire à nouveau ce qu'elles veulent des données personnell­es récoltées, alors qu'en réalité cette prise de conscience n'est que le début de l'effort. Il convient d'avoir un véritable projet de mise en conformité», avance Lê-Binh Hoang.

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(GETTY IMAGES)

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