Le Temps

«Permuter avec le latéral, on le faisait déjà en 1974»

- ANCIEN FOOTBALLEU­R PROPOS RECUEILLIS PAR L. FE

L’ailier gauche d’Anderlecht et des Pays-Bas de 1974 et 1978 estime que les grands joueurs font la tactique, bien plus que l’inverse

Rob Rensenbrin­k aurait pu être Mario Kempes. Il s’en est fallu d’un rien, un ballon glissé sous le ventre d’Ubaldo Fillol et qui vient heurter sur le poteau, à la dernière minute du temps réglementa­ire de la finale de la Coupe du monde 1978. Les Pays-Bas perdront en prolongati­ons, buts de Kempes et Bertoni. «Avec un but vainqueur en finale de Coupe du monde, son total de six aurait éclipsé les cinq de Kempes et lui aurait valu le Soulier d’or. Rensenbrin­k aurait probableme­nt des rues à son nom aujourd’hui aux Pays-Bas», écrit David Winner dans Brilliant Orange: The Neurotic Genius of Dutch Football.

Quarante ans plus tard, Rob Rensenbrin­k a son nom dans les pages blanches de l’annuaire. L’ancien ailier gauche vit dans une banlieue résidentie­lle au nord-est d’Amsterdam, au fond d’une petite allée de maisons mitoyennes. La silhouette est toujours gracile, mais il est atteint depuis plusieurs années d’une maladie musculaire dégénérati­ve. Il offre un café, téléphone à un voisin pour qu’il serve d’interprète, s’assoit sur le canapé et profite que sa femme soit en vacances deux jours pour griller une cigarette dans le salon.

Comment êtes-vous devenu ailier? Je viens d’un quartier populaire d’Amsterdam, mon père travaillai­t au nettoyage des bateaux dans le port. Tous les jours après l’école, on jouait au football dans la rue, avec une balle en plastique. Les bouches d’incendie servaient de but, c’étaient plus des cibles que des cages. Dans ces petits espaces, on apprend à contrôler la balle, à voir vite.

A dribbler? Non, le dribble on l’a ou on l’a pas. Moi, je l’avais. Feinte intérieur pied gauche, crochet extérieur pied gauche. J’aimais beaucoup Coen Moulijn, qui était vraiment un joueur magnifique. A 17 ans, j’ai signé au DWS, un petit club d’Amsterdam. J’étais assez libre de dribbler et de jouer comme je le sentais. De toute façon, je n’écoutais pas trop les consignes. A 19 ans, je suis parti en Belgique, à Bruges qui avait offert une belle somme à l’époque à mon club, environ 400000 euros. Ensuite j’ai joué à Anderlecht, où je suis resté neuf ans. En équipe nationale, vous étiez le seul à n’avoir jamais joué ni à l’Ajax ni à Feyenoord. Cela vous posait-il un problème de compréhens­ion du jeu? Je devais m’adapter tactiqueme­nt, mais pour d’autres raisons. A Anderlecht, je jouais inside left, et je marquais beaucoup de buts, mais en 1974, c’était le rôle de Cruyff, et il fallait lui faire de la place, ce qui me paraissait normal, donc j’étais vraiment positionné comme ailier gauche. En 1978, il n’est pas venu à la Coupe du monde et j’ai pris sa place comme joueur libre. Je n’avais pas à défendre, j’ai marqué cinq buts, contre un seul en 1974.

Que pensez-vous des ailiers modernes inversés? Je ne comprends pas l’intérêt. A droite, Robben ne peut que revenir dans l’axe sur son pied gauche alors que côté gauche, il aurait deux options. Je n’ai jamais accordé beaucoup d’importance à la tactique. Pour moi, ce qui compte, c’est la qualité des joueurs.

Un ailier qui rentre ouvre le couloir pour le latéral. En 1974, on le faisait déjà. Rinus Michels me demandait parfois de rentrer un peu pour permettre à Ruud Krol de prendre le couloir. C’était un très bon joueur. Si vous regardez le deuxième but contre le Brésil en 1974, je rentre, je me retourne et je sers Krol qui est lancé et qui centre pour Johan. C’était nouveau à l’époque. Rinus Michels m’a mis une fois à droite pour un match amical, mais je crois que c’était surtout pour gérer Piet Keizer, qui avait des problèmes avec Cruyff à l’Ajax.

«Je n’ai jamais accordé beaucoup d’importance à la tactique. Pour moi, ce qui compte, c’est la qualité des joueurs»

Vous en aviez également? Moi non, mais Cruyff en avait parfois avec les joueurs qui pouvaient lui faire de l’ombre.

Vous dites être plus populaire en Belgique qu’aux Pays-Bas. Pourquoi? J’ai joué neuf ans à Anderlecht. D’ailleurs, maintenant je supporte la Belgique, ils ont beaucoup de bons joueurs. Ici, je suis celui qui a tiré sur le poteau à la dernière minute de la finale de la Coupe du monde.

Vous y pensez encore? J’ai 70 ans et j’y pense constammen­t. Je crois que j’y penserai jusqu’à ma mort. C’était pas de chance. C’est le football.

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ROB RENSENBRIN­K

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