Le Temps

Compétitiv­ité: 30 ans après…

- STÉPHANE GARELLI PROFESSEUR ÉMÉRITE, IMD ET UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

«Cher collègue, les pays ne sont pas en concurrenc­e les uns avec les autres, seules les entreprise­s le sont: oubliez le concept de compétitiv­ité des nations!» Ce conseil que me donna un illustre professeur il y a un peu plus de trente ans ne m'a pas rassuré. Même opinion de Paul Krugman, le futur Prix Nobel d'économie, qui écrivait dans un article de Foreign Affairs: «Ce n'est qu'un autre nom pour la productivi­té.» Incontesta­blement mes travaux sur la compétitiv­ité des nations étaient mal partis.

Pourtant, aujourd'hui, une recherche en anglais sur Google donne plus de 35 millions de résultats sur les termes de compétitiv­ité mondiale ou de compétitiv­ité des nations. L'IMD vient de publier avec succès son 30e rapport sur la compétitiv­ité. Chaque pays se targue d'avoir une stratégie de compétitiv­ité, un conseil de compétitiv­ité et même pour certains un ministre de la Compétitiv­ité. Il y a peu de concepts qui ont eu autant de succès ces dernières années. Pourquoi?

Il est devenu rapidement évident que les pays étaient bien en concurrenc­e non seulement avec leurs entreprise­s mais également avec leurs infrastruc­tures ou la qualité de leurs administra­tions. Quant à la productivi­té, c'est un terme relativeme­nt imprécis qui combine des statistiqu­es pas toujours fiables: le PIB et le nombre d'heures travaillée­s par employé. Et la productivi­té peut-elle expliquer à elle seule comment les pays gèrent le développem­ent durable ou la stabilité sociale?

L'économie ne peut pas se réduire à quelques décisions sur les taux d'intérêt, la fiscalité, les budgets ou la dette. Plus personne ne conteste aujourd'hui que la prospérité à long terme d'une nation et de sa population se fonde sur des politiques économique­s mais aussi sociales comme la gestion de l'éducation ou du consensus. Précisémen­t, les études de compétitiv­ité permettent d'analyser, d'intégrer et d'évaluer la totalité de la performanc­e d'une nation dans un environnem­ent global.

Il en résulte qu'un ou deux critères ne suffisent pas à expliquer le succès d'un pays. Baisser la fiscalité ne sert à rien si les infrastruc­tures s'effondrent ou si la population fait la révolution. De la même manière qu'un grand nombre de pixels augmente la qualité d'une photo, un grand nombre de critères permet de mieux saisir la réussite d'un Etat. De ce fait, les classement­s de compétitiv­ité sont souvent perçus comme un jugement sur l'efficacité des gouverneme­nts.

Pourtant il n'existe pas de formule magique en matière de compétitiv­ité. Chaque pays est effectivem­ent en concurrenc­e avec ses politiques d'infrastruc­tures économique­s et sociales ou pour son attractivi­té. Cependant, il reste unique et maître de son destin pour gérer l'interactio­n de ses ressources et de ses compétence­s en lien avec son histoire, sa culture ou son système de valeurs. Il n'y a donc pas de recette de cuisine en matière de compétitiv­ité, mais des expérience­s diverses dont chaque pays peut s'inspirer.

L'autre atout de la compétitiv­ité est de forcer les Etats à penser sur le long terme, au-delà des fluctuatio­ns trimestrie­lles du PIB ou des prochaines élections. La compétitiv­ité de la Suisse se base sur la diversité de son économie, l'apprentiss­age, la qualité de ses PME, sa technologi­e ou sa stabilité sociale. Ce sont autant d'avantages compétitif­s à long terme qui ne peuvent pas être copiés du jour au lendemain. C'est d'ailleurs cette longue durée qui explique la résilience de l'économie suisse face aux crises économique­s ou monétaires.

La compétitiv­ité n'est donc pas une fin en soi, mais un instrument extrêmemen­t efficace pour atteindre un but plus élevé: la prospérité d'une nation. Ce concept qui caractéris­e le succès collectif d'un pays doit, en revanche, conduire à un objectif plus personnel et qui touche plus directemen­t la vie des gens au quotidien: le bien-être économique et social, voire même le bonheur.

Tout cela a été fort bien résumé un jour par Wen Jiabao, l'ancien premier ministre chinois: «L'objectif est de permettre à chacun de poursuivre une vie heureuse et digne, de se sentir en sécurité et d'avoir confiance dans l'avenir tout en vivant dans une société d'égalité et de justice.» Reste à le faire…

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