Le Temps

La Slovénie tentée à son tour par la droite nationalis­te

Les électeurs slovènes vont-ils faire mentir la réputation de modération qui colle à leur pays, coincé entre l’Autriche, l’Italie et la Croatie? Ce dimanche, ils pourraient porter au pouvoir un parti très radical

- JEAN-ARNAULT DÉRENS ET LAURENT GESLIN

«La Slovénie d’abord!» C’est avec ce slogan emprunté à Donald Trump que Janez Jansa entend faire son retour aux affaires. Le Parti démocratiq­ue slovène (SDS) de l’ancien premier ministre caracole en tête des intentions de vote pour les législativ­es de dimanche. «Il n’y a pas de Slovénie sans Slovènes», martèle Janez Jansa, qui a axé sa campagne sur la défense d’une identité menacée par l’arrivée des réfugiés. Militant de la société civile sous la Yougoslavi­e socialiste, l’homme a amorcé, après l’indépendan­ce de 1991, un parcours politique qui n’a jamais cessé de le conduire toujours plus à droite.

Janez Jansa a été premier ministre de 2004 à 2008, un poste qu’il a retrouvé en 2012, avant d’être rattrapé par une affaire de corruption. En 2014, il est condamné à 2 ans de prison pour avoir reçu des pots-de-vin lors de l’achat de blindés pour l’armée slovène auprès du groupe finlandais Patria. Janez Jansa a passé effectivem­ent neuf mois derrière les barreaux. Puis, une fois libéré, il a choisi d’orchestrer son retour sur une partition de plus en plus nationalis­te. La crise des migrants lui en a offert l’occasion.

En 2015, la Slovénie s’est trouvée placée sur la «route des Balkans», empruntée par plus d’un million de réfugiés. A la fin du mois d’août, les frontières hongroises se fermaient, dirigeant les flux vers la Croatie et la Slovénie. De là, les réfugiés passaient en Autriche pour rejoindre l’Allemagne et, dès que Vienne a bloqué, début mars 2016, le poste frontalier de Spielfeld, Ljubljana a aussitôt fermé ses frontières avec la Croatie. La hantise des autorités était que des milliers de réfugiés se retrouvent piégés dans leur pays.

Un «enjeu européen»

Depuis cet hiver, les chiffres des passages de Turquie en Grèce augmentent de nouveau et les migrants convergent au nordouest de la Bosnie-Herzégovin­e, d’où ils tentent de passer en Croatie: la Slovénie n’est alors plus qu’à 150 kilomètres. Le ministre autrichien de l’Intérieur, Herbert Kickl (FPÖ), a déjà annoncé la création d’une Unité de protection de frontières et son nouvel homologue italien, Matteo Salvini, le chef de la Ligue, promet aussi la plus extrême fermeté. Coincée entre les deux pays, la Slovénie représente donc une «dent creuse», à moins qu’elle ne vienne compléter, avec Janez Jansa, un «axe alpin» bloquant tout accès au reste du continent. L’extrême droite européenne ne s’y est pas trompée: de nombreux sites soulignent «l’enjeu européen» des élections slovènes.

Janez Jansa peut aussi compter sur le soutien de Viktor Orban. Le premier ministre hongrois a pris part à la convention de lancement de la campagne du SDS le 11 mai. Une année plus tôt, Arpad Habony, conseiller politique de Viktor Orban et propriétai­re du groupe de presse MGM, avait investi 800000 euros dans la télévision NovaTV24, très proche du SDS, et pris des parts dans l’hebdomadai­re Demokratij­a et le tabloïd Skandal24. NovaTV24 est devenue le point de rendez-vous de tout ce que la Slovénie compte d’ultra-réactionna­ires. On y croise des catholique­s traditiona­listes qui veulent revenir sur la loi ouvrant, depuis 2014, le mariage aux personnes de même sexe, des pourfendeu­rs du «multicultu­ralisme» qui menacerait la fragile identité slovène, et des ténors du SDS, comme l’ancien secrétaire d’Etat, Bernard Brscic, qui considère que le «mythe de l’Holocauste» a été conçu par «des intellectu­els gauchistes d’origine juive», tout en félicitant Benyamin Netanyahou pour sa «fermeté» à Gaza.

Le modèle hongrois

Le SDS radicalisé a aussi repris au parti de Viktor Orban, le Fidesz, certaines de ses obsessions, comme la dénonciati­on du philanthro­pe George Soros, et il s’inscrit désormais au coeur des réseaux internatio­naux que le parti hongrois tente de créer, en fédérant les éléments les plus droitiers du Parti populaire européen (PPE). Une éventuelle victoire du SDS serait donc une excellente nouvelle pour Budapest. Reste à savoir si l’avance que les sondages lui concèdent suffira pour permettre à Janez Jansa de former un gouverneme­nt, car sa fuite en avant l’a éloigné de la plupart de ses partenaire­s potentiels.

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