Le Temps

Comment les réseaux sociaux tentent de lutter contre les contenus haineux

- FLORIAN DELAFOI t @floriandel

Accusées de tous les maux, les plateforme­s numériques prennent une série de mesures pour lutter contre les contenus haineux. Une opération de communicat­ion pour rassurer les utilisateu­rs et les investisse­urs. Leur réputation est en jeu

Avec sa tête verte et ses gros yeux, Pepe la Grenouille est devenue la mascotte de l’extrême droite américaine. Son visage expressif accompagne des messages haineux sur les réseaux sociaux, au grand dam de son créateur. Même Donald Trump a utilisé un dessin du célèbre personnage. L’amphibien met Facebook dans l’embarras, qui a finalement décidé de réglemente­r son utilisatio­n. Les modérateur­s du réseau social pourront supprimer certaines images de Pepe, selon des documents internes obtenus le 25 mai par le site d’informatio­n Motherboar­d.

Cette décision s’inscrit dans le cadre d’une offensive plus large. Depuis quelques mois, la firme de Mark Zuckerberg annonce une batterie de mesures pour réduire le pouvoir de nuisance des trolls. Leur passe-temps? Diffuser des messages violents en espérant qu’un internaute morde à l’hameçon. «Lorsqu’une victime est désignée, les trolls agissent au sein d’une meute et expriment librement leurs pensées les plus violentes. La responsabi­lité individuel­le n’opère plus», indique Pauline EscandeGau­quié, sémiologue et coauteure du livre Monstres 2.0. L’autre visage des réseaux sociaux. Il s’agit pour les trolls de perturber la conversati­on, d’envenimer les choses. Mais ils peuvent également être utilisés à des fins de propagande. Le Kremlin a monté son «usine à trolls» qui a indirectem­ent servi Donald Trump durant sa campagne. Longtemps ignorés, ils sont désormais dans le viseur des plateforme­s numériques.

Position ferme

Lors de sa récente audition devant le Parlement européen, le patron de Facebook a réaffirmé sa volonté d’agir contre ces per- turbateurs. Il mise notamment sur l’intelligen­ce artificiel­le pour améliorer la détection des contenus problémati­ques. Afin de limiter les dégâts, il a par ailleurs engagé plus de 7500 modérateur­s. Ces petites mains, basées dans le monde entier, ont la responsabi­lité de supprimer les publicatio­ns illicites. Le réseau social joue la carte de la transparen­ce. Il a dévoilé pour la première fois des chiffres concernant sa politique de modération. Une tâche titanesque: 3,5 millions de contenus violents ou haineux ont été supprimés au premier trimestre 2018. Parmi ces publicatio­ns, 86% ont été détectées automatiqu­ement.

Image écornée

Son concurrent Twitter adopte une position tout aussi ferme. La plateforme veut faire disparaîtr­e les trolls grâce à un nouvel outil installé par défaut. Le fonctionne­ment est simple: un algorithme masque les messages des trublions. Pour y accéder, l’utilisateu­r doit désormais paramétrer son compte de sorte à voir l’ensemble des messages publiés sur le site. Les «personnes contribuan­t à la sérénité de la conversati­on» sont quant à elle plus visibles, assure l’entreprise californie­nne. Cette décision est le fruit de la nouvelle approche présentée en mars par son directeur, Jack Dorsey.

Comment expliquer une telle offensive? La promesse d’un monde ouvert et plus connecté ne contente plus les internaute­s. L’incompéten­ce des géants du numérique pour modérer la parole haineuse est régulièrem­ent dénoncée. Leurs récentes actions visent ainsi à préserver l’image et la valeur de leur entreprise.

«Le débat a pris une telle ampleur que ces entreprise­s sont obligées de réglemente­r l’usage de leur plateforme. Mais dans l’absolu, ce n’est pas dans leur intérêt. Pendant très longtemps, elles ont laissé ces attitudes déviantes se diffuser afin de créer du trafic», estime Pauline Escande-Gauquié. Le cas de Twitter est emblématiq­ue: Disney aurait en partie renoncé au rachat de la société à cause du comporteme­nt de certains membres de la plateforme. Une galaxie de trolls qui aurait pu nuire à la réputation de l’empire du divertisse­ment.

Action des pouvoirs publics

Les pouvoirs publics haussent également le ton. En Allemagne, une nouvelle loi contre les discours violents vise directemen­t les hébergeurs. Tout réseau social de plus de 2 millions d’utilisateu­rs qui ne supprime pas sous 24 heures les contenus haineux publiés sur sa plateforme risque une amende de 50 millions d’euros. La mesure est toutefois controvers­ée. Reporters sans frontières a dénoncé les risques de censure «dans la mesure où les réseaux sociaux pourraient être tentés de supprimer plus de contenus pour payer moins d’amendes, ce qui est bien entendu incompatib­le avec les textes internatio­naux en matière de droits de l’homme».

En Suisse, le Conseil fédéral s’inquiète de la progressio­n du trolling. «Sur certaines plateforme­s étrangères, des personnes opèrent même ouvertemen­t en tant que trolls, à titre profession­nel, sur mandat de tiers», explique un état des lieux publié en mai 2017. Le réseau social n’est toutefois pas jugé responsabl­e si des messages violents sont partagés. «Le Code pénal s’applique bien en ligne, mais dans des cas comme cela, on ne pourra rendre responsabl­e la plateforme. Il s’agit d’un intermédia­ire qui propose un service», confirme François Charlet, juriste spécialisé dans le droit des technologi­es. Selon lui, une réglementa­tion trop forte présente un risque: encourager les réseaux sociaux à fermer leur site dans certains pays. «Cela poserait un problème en termes de liberté d’expression et de débat public.»

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(ELIJAH NOUVELAGE/REUTERS) Les partisans de Donald Trump ont adopté Pepe la Grenouille durant la campagne présidenti­elle.

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