Le Temps

L’improbable accord bilatéral avec l’UE

Berne et Bruxelles tentent de conclure un accord institutio­nnel pour chapeauter la voie bilatérale d’ici à la fin de l’année. Le pessimisme est de mise avant la rencontre du 7 juin

- SOLENN PAULIC, BRUXELLES, ET MICHEL GUILLAUME,BERNE @mfguillaum­e

La prochaine ronde des négociatio­ns entre l’Union européenne et la Confédérat­ion a lieu ce jeudi 7 juin. Tout indique que l’on se dirige vers un échec, malgré les signes de bonne volonté affichés par les deux camps

La visite à Berne du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, en novembre dernier a été un fiasco. Dans la foulée, l’attributio­n à la Suisse par l’Union européenne (UE) de l’équivalenc­e boursière pour un an seulement a été très mal vécue par la Confédérat­ion.

Malgré ces deux couacs hivernaux, les diplomates bernois et bruxellois jurent qu’ils sont dans les meilleures dispositio­ns pour continuer le dialogue qui doit mener à la signature d’un accord bilatéral entre l’UE et la Suisse avant la fin de l’année. La prochaine étape a lieu ce jeudi 7 juin. Il existe un point sur lequel des progrès ont été faits: le mécanisme de résolution des litiges. Un tribunal incluant la Suisse apparaît comme la solution en voie d’être adoptée, afin de chasser le spectre des «juges étrangers». Mais concernant les mesures d’accompagne­ment et la réglementa­tion sur les aides d’Etat, Berne campe sur ses positions. Cette rigidité irrite Bruxelles qui considère ces deux éléments comme importants, dans la perspectiv­e d’un accord. Les négociateu­rs européens pensent qu’ils ont fait suffisamme­nt de concession­s et que c’est désormais à la Suisse d’en faire. Et la Confédérat­ion doit se presser, disent en substance les Européens: bientôt, leur attention sera accaparée par le Brexit et les états d’âme des Suisses seront considérés comme accessoire­s.

«Maintenant, c’est aux Suisses de bouger!» UN HAUT FONCTIONNA­IRE EUROPÉEN

A Berne comme à Bruxelles, tous les diplomates le jurent, croix de bois croix de fer: «Nous avons la volonté de conclure un accord institutio­nnel d'ici à la fin de l'année.» Ils ajoutent que le climat s'est rétabli après la panne qu'a constituée la visite ratée du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker le 23 novembre dernier à Berne, suivie de l'épisode, très mal vécu par la Suisse, de l'équivalenc­e boursière qui ne lui a été accordée que pour un an par l'UE. Pourtant, la réalité des faits est différente. Tout laisse à croire que certains écueils sont «insurmonta­bles» et que les rondes de négociatio­ns qui se succèdent ne sont que les épisodes d'une chronique d'un échec programmé.

Du côté de Bruxelles, on ne cache plus son impatience. La Commission s'irrite de constater que la Suisse se refuse obstinémen­t à bouger sur deux éléments très importants de l'accord que sont pour elle les mesures d'accompagne­ment et la réglementa­tion sur les aides d'Etat. Certes, après le traumatism­e de l'hiver dernier, les discussion­s ont repris sur une base plus saine. Les deux parties ont même presque résolu la plus délicate question: le mécanisme de règlement des litiges. Elles envisagent de créer un tribunal d'arbitrage, où la Suisse serait représenté­e. Même si elles divergent encore sur le champ d'applicatio­n de cette cour, elles ont fait de notoires progrès sur ce plan.

Mais pour Bruxelles, le positif s'arrête déjà là et à ce stade, le compte n'y est vraiment pas, surtout si Berne tient au renouvelle­ment illimité dans le temps de l'équivalenc­e boursière à partir de janvier 2019.

«Maintenant, c'est aux Suisses de bouger!» s'est exclamé, jeudi 31 mai, un haut fonctionna­ire européen. A Bruxelles, on estime avoir déjà largement tendu la main à Berne en proposant une solution de compromis sur le règlement des litiges expurgée de l'épouvantai­l des «juges étrangers». Une solution que la Commission du président JeanClaude Juncker met d'ailleurs principale­ment à son crédit.

Pourtant, alors qu'on croyait en Suisse avoir déblayé la principale pierre d'achoppemen­t, d'autres problèmes ont surgi à propos des mesures d'accompagne­ment que la Suisse a prises concernant l'accord sur la libre circulatio­n des personnes.

Règle dite «des huit jours» pas digérée par Bruxelles

A ce sujet, la Commission n'a jamais digéré la règle dite «des huit jours», obligeant une entreprise européenne à s'annoncer préalablem­ent à un office cantonal du travail. Elle regrette que la Suisse en fasse une ligne rouge absolue alors qu'elle pourrait reprendre une récente directive de mise en oeuvre sur le travail détaché, qu'elle juge tout aussi efficace que les mesures d'accompagne­ment pour lutter contre le dumping salarial.

Des Etats membres tels que la France partagent les mêmes préoccupat­ions et ont mis en place des mesures très similaires à celles de la Suisse, fait-elle valoir. Plutôt que de rejeter en bloc tout changement de paradigme sur cette règle si controvers­ée, Berne ferait mieux de réclamer une période transitoir­e – de cinq ans par exemple – avant d'adopter une solution eurocompat­ible.

Qui bougera le premier? Pas la Commission européenne, qui souhaite pourtant conclure ce dossier sous l'actuelle présidence de JeanClaude Juncker qui s'achèvera au printemps prochain. «La voie bilatérale actuelle a vraiment atteint ses limites», note-t-elle en prévenant

Jean-Claude Juncker et Doris Leuthard lors de la visite du président de la Commission européenne le 23 novembre dernier à Berne.

son partenaire: plus le temps passe, plus le Brexit – un chantier autrement plus important pour elle – viendra parasiter le dossier suisse.

Du côté de Bruxelles, le ton est certes poli, mais sec et un brin menaçant. Au stade actuel, on s'achemine tout droit vers l'échec des négociatio­ns, dont la prochaine ronde se déroulera ce jeudi 7 juin. Du côté suisse, la situation politique est tendue. Le Conseil fédéral doit d'abord gagner la bataille sur l'initiative de l'UDC «pour la primauté du droit suisse au lieu des juges étrangers», ce qui ne sera pas une sinécure. Raison pour laquelle il s'accroche à ses lignes rouges, paralysé qu'il est entre une UDC nationalis­te qui ne rêve que de l'attaquer sur la «perte de souveraine­té» que constituer­ait l'accord institutio­nnel et une gauche qui a sanctifié les mesures d'accompagne­ment. Signe qui ne trompe pas: le gouverneme­nt, bien qu'en faveur d'un nouveau crédit de 1,3 milliard à l'UE au titre de la cohésion, n'a toujours pas transmis son message au parlement.

En Suisse, quelques voix regrettent le manque de courage du Conseil fédéral, estimant que la règle des huit jours est dépassée à l'heure où les nouvelles technologi­es permettrai­ent de moderniser la lutte contre le dumping salarial sans abaisser le degré de protection des travailleu­rs. Mais elles ne le disent qu'en aparté. Dès lors, entre deux maux, le Conseil fédéral a déjà fait son choix: pour lui, un échec des négociatio­ns avec l'UE ne serait pas une catastroph­e, contrairem­ent à une débâcle en votation d'un accord institutio­nnel peu convaincan­t.

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(PETER KLAUNZER/KEYSTONE)

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