Le Temps

L’épicerie où l’on doit s’engager

Acheter local et bio et se rendre utile quelques heures par mois pour avoir accès aux produits: les épiceries participat­ives sont toujours plus nombreuses à travers le monde, notamment en Suisse. Mais pas sûr que le concept gagne le grand public

- JULIE EIGENMANN @JulieEigen­mann

«Ici, on sait d’où viennent les produits, on peut faire confiance.» Sylvie, 45 ans, travaille à la caisse de l’épicerie coopérativ­e Système B cet après-midi. Elle fait partie des 150 membres qui ont rejoint la coopérativ­e depuis son ouverture en mars dernier à Neuchâtel. Il est 17 heures, et les clients commencent à affluer. Principe de ce supermarch­é: pas d’emballages, des produits éthiques et, le plus possible, locaux et bios.

Mais surtout, pour faire ses courses dans un tel magasin, il faut acheter des parts sociales et travailler pour la coopérativ­e: trois heures par mois chez Système B, deux heures au Nid qui a vu le jour en février dernier à Genève. Plusieurs épiceries participat­ives, dont La Brouette à Lausanne, ont récemment ouvert en Suisse et plusieurs projets sont en cours. Les fondateurs s’inspirent de modèles à succès, dont la Park Slope Food Coop, créée en 1973 à New York, qui compte aujourd’hui 16000 membres. En France aussi, les enseignes se multiplien­t.

Pourquoi un tel enthousias­me? «Ces supermarch­és expriment le rejet radical d’un mode de consommati­on dont les travers sont de plus en plus visibles», estime Philippe Moati, professeur d’économie à l’Université Paris Diderot et coprésiden­t de l’Observatoi­re société et consommati­on. «La population essaie de construire des solutions alternativ­es et un système horizontal entre consommate­urs et producteur­s.»

Les coopérativ­es pourraient-elles s’étendre, quitte à concurrenc­er les supermarch­és «traditionn­els»? Elles «proposent des transforma­tions innovantes dans notre rapport à la consommati­on, mais elles ne remplacero­nt pas les supermarch­és. Ils resteront complément­aires» les uns par rapport aux autres, répond Marlyne Sahakian, professeur­e en sociologie de la consommati­on à l’Uni de Genève.

Car le participat­if n’est pas forcément accessible à tous: «Il faut avoir l’envie et le temps de travailler à l’épicerie», explique Marlyne Sahakian. «Cette obligation peut représente­r un frein pour une personne introverti­e ou à l’emploi du temps chargé.» Philippe Moati est aussi de cet avis: «Le temps reste fondamenta­l dans notre société qui cherche à simplifier la vie aux gens. On est dans le règne du rapide. Travailler pour consommer attire ceux qui sont animés d’une dimension politique, mais peut être un repoussoir pour d’autres.»

«Nous faisons tout pour rendre la coopérativ­e accessible au plus grand nombre», dit Agathe Hanne- bert, vice-présidente de Système B. «Nous ouvrons en dehors des heures de bureau, et si un coopérateu­r n’est pas disponible pendant ces horaires, il peut par exemple aller chercher les légumes directemen­t chez les producteur­s.» Selon elle, le temps investi reste positif: «L’ambiance est différente. Acheter peut prendre plus de temps, mais ça crée une communauté, un lieu de rencontre.»

Autre limite du modèle, selon Marlyne Sahakian: le nombre réduit de produits. «Vendre des couches par exemple, qui ne répondent pas aux critères «local» et «bio», peut sembler incohérent. Mais s’il n’y en a pas, certaines personnes feront l’ensemble de leurs courses ailleurs.» Chez Système B, le choix reste encore limité, mais les coopérateu­rs affichent leurs envies sur un tableau, «brosses à dents, mozzarella, glaces». Et pour assurer un large panel de marchandis­es, certaines d’entre elles dérogent à la règle du local, comme les avocats ou les bananes.

Chaque coopérativ­e sélectionn­e les marchandis­es selon les valeurs qu’elle défend, mais il n’est pas facile de faire de ces épiceries le lieu de tous les achats. L’idée de Marlyne Sahakian pour y remédier: «Comme les supermarch­és normaux comportent des rayons bios, instaurer un rayon industriel. Il sera identifié comme tel, et les clients pourront tout acheter à la coopérativ­e!»

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(DR) L’épicerie Système B à Neuchâtel.

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