Le Temps

Entre Berne et Bruxelles, le poison lent du Brexit

- RICHARD WERLY, BRUXELLES @LTwerly

L’incapacité des Britanniqu­es à afficher une position claire sur leur relation future avec l’Union européenne rend de plus en plus compliqué, voire impossible tout accord avec un autre pays tiers

«L'Union européenne est un écosystème de normes, de droits appuyés sur une régulation et une juridictio­n communes. C'est cela qui cimente la confiance entre nous. Les Britanniqu­es ont décidé de quitter cet écosystème, ils ne peuvent être à la fois dehors et dedans. Mon impatience naît d'entendre à Londres trop de discours irréaliste­s.»

Avis aux négociateu­rs suisses: cette phrase prononcée par Michel Barnier dans un entretien accordé ces jours-ci au groupe de presse régionale français EBRA vaut aussi pour Berne. Car dans les faits, le petit dossier bilatéral helvétique et le copieux divorce en cours avec Londres se chevauchen­t toujours plus. «Notez bien ce mot: confiance. J'ai peur qu'entre la Suisse et l'UE, il ne correspond­e plus à la réalité», confie au Temps un ancien commissair­e européen, ex-interlocut­eur de la Confédérat­ion.

Le Brexit est un poison lent. Tous les observateu­rs le craignaien­t à Bruxelles. Et la réalité le confirme maintenant que l'avantage pris par l'Union et son négociateu­r Michel Barnier dans la première phase de négociatio­ns achevée en décembre – accord sur la facture d'environ 50 milliards d'euros à acquitter par Londres, garantie pour les Européens installés au Royaume-Uni et absence de frontière dure entre l'Irlande et l'Irlande du Nord – a laissé place aux sables mouvants des tergiversa­tions sur l'union douanière, pour résoudre ou non la frontière irlandaise.

Le Brexit aiguise les appétits

Comment avancer dans ce marécage pour conclure avec les Britanniqu­es un divorce en bonne et due forme à l'échéance prévue d'octobre 2018, en vue d'un départ de l'Union en mars 2019? «Ce que veulent les Anglais ressemble de plus en plus à un Bremain [contractio­n de Brexit et Remain, ndlr], complète notre interlocut­eur. Or outre que cela n'est pas possible, cette indécision teintée parfois de malhonnête­té est un casse-tête politique, diplomatiq­ue, réglementa­ire.»

La Suisse peut-elle, dans ce contexte, faire entendre sa différence? Peu probable. D'autant que le Brexit aiguise aussi certains appétits. La France, par exemple, croit à sa capacité à attirer les établissem­ents bancaires de la City depuis la décision, en novembre 2017, de transférer à Paris l'Autorité bancaire européenne, jusque-là basée à Londres. Paris n'a pas non plus envie d'apparaître comme trop conciliant vis-à-vis de la Suisse – qui ne digère toujours pas son placement sur la liste «grise» des paradis fiscaux établi par l'UE en décembre – alors que le procès UBS pour «blanchimen­t de fraude fiscale» et «démarchage illicite», du 8 octobre au 15 novembre, va mobiliser les médias.

Le ministre français des Finances, Bruno Le Maire a d'ailleurs sermonné ses collègues lors de l'Eurogroupe du 24 mai, à la veille de la guerre commercial­e déclenchée par Washington: «Tout démontre que seules l'unité et la fermeté paient vis-à-vis des pays tiers. Nous devons savoir placer haut le curseur car nous avons un marché à défendre.» Ce qu'un commissair­e européen traduit d'une méchante phrase à l'intention de Berne avant la rencontre du 7 juin: «Alors que les Britanniqu­es polluent les eaux communauta­ires, la Suisse, elle, s'honorerait de se montrer à la hauteur dans ses relations avec l'UE pour remettre à flot la relation bilatérale.»

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