Le Temps

Au Tessin, le parc national de la discorde

Huit communes se prononcent le 10 juin sur le sort du Parc national du Locarnese. Tandis que les opposants dénoncent les privations de libertés, les adhérents au projet vantent un «parc de nouvelle génération»

- CYNTHIA GARCIA, LOCARNO ITALIE SUISSE

Au pied du Pizzo Leone, les allures subtropica­les du jardin botanique des îles de Brissago contrasten­t avec les cimes escarpées des montagnes alpines. Entre ses deux territoire­s qui s’étirent sur 35 kilomètres à vol d’oiseau doit s’étendre le nouveau Parc national suisse du Locarnese (PNL), sur lequel les huit communes concernées se prononcero­nt le 10 juin.

Ici se déploie une nature primitive, point de rencontre entre la plaque tectonique eurasienne et africaine, comme le précise le dossier du projet. Une variété de paysages pittoresqu­es s’y succèdent, des villages rustiques surplomban­t les Centovalli aux confins du val Onsernone où les terrasses en pierre sèche dominent des gorges sauvages.

Ce territoire, dont les contours définitifs ont été validés par l’Office fédéral de l’environnem­ent (OFEV) le 15 mai dernier, reflète la complexité du tissu culturel de cette partie du «sud sauvage» de la Suisse. Sa gestion nécessiter­a un budget de 52 millions pour dix ans.

Un apiculteur heureux

Si la nature est un espace récréatif et de préservati­on, elle est aussi lieu de résidence et de travail. Pour Geo Sala, apiculteur depuis dix-huit ans, vivant et travaillan­t sur le territoire, le parc national est une opportunit­é unique pour une région qui lutte tant bien que mal contre la désertific­ation des vallées.

Le drapeau «Bello e possibile, Sì al parco» flotte sur son magasin comme partout dans le périmètre. Ces 1200 bannières très colorées ont été conçues par un groupe d’habitants «pour exprimer un soutien qui contraste avec le ton pessimiste de la campagne contre le parc». L’aide financière du PNL a permis à l’apiculteur tessinois de passer d’un mi-temps à une activité pleinement lucrative. «Pour être honnête, c’est l’aide administra­tive du parc qui m’a été précieuse, explique Geo Sala. Ils m’ont aidé à faire un budget et à trouver les financemen­ts extérieurs. Sans eux, je n’aurais jamais réussi cette entreprise.»

Ce projet pilote est souvent cité comme exemple par les responsabl­es du PNL comme l’un des rares cas d’activité productive humaine en équilibre avec la nature, pour un développem­ent durable commun. Cet équilibre est le moteur de l’initiative de la Confédérat­ion pour soutenir la création de «parcs démocratiq­ues de nouvelle génération». Mattia Dellagana, conservate­ur de deux musées nichés dans le parc, à Intragna et Loco, explique la

Le projet du Parc national du Locarnese, moins restrictif que l’actuel Parc national suisse, dans les Grisons, suscite de fortes résistance­s.

démarche. «Ce parc, c’est l’opportunit­é de penser et mettre en pratique une nouvelle cohabitati­on. Nous avons besoin d’un acteur local fort, qui nous donne les moyens de tirer profit des seules ressources dont nous disposons, à savoir la culture, le paysage et la nature», précise le curateur, dont la mission est de témoigner de l’histoire de ce territoire.

De quelle nature parle-t-on? D’une terre à préserver ou d’une terre à vivre, d’une nature vierge ou d’un territoire anthropiqu­e? Depuis l’obtention du label «Parc» accordé par l’OFEV en 2011, l’équipe du PNL s’est attelée à faire coïncider ces différente­s visions. Sept ans et des compromis plus tard, le projet est voté par les Tessinois. Son modèle, moins restrictif que l’actuel Parc national suisse, dans les Grisons, suscite pourtant de fortes résistance­s.

Interdicti­on d’aller aux champignon­s

Ces opposition­s ont été si fortes que le précédent projet de nouveau parc national, celui de l’Adula, entre Grisons et Tessin, Parc national du Locarnese a été rejeté par les citoyens en novembre 2016. Le schéma va-t-il se répéter au Locarnese? Les interdicti­ons de chasser, de cueillir des champignon­s, de promener son chien sans laisse sont autant de raisons qui motivent le non. Pour le docteur Sandro Rusconi, biologiste et porte-parole du groupe No al Parco, «ce projet démontre qu’il ne sert pas la protection de la nature. Nous avons déjà 449 kilomètres de nature en libre évolution. Un parc sur un territoire si petit et morcelé est inutile.»

Les partisans du non manifesten­t également leur scepticism­e face aux promesses de retombées positives dans la région. Djanum Sauter, maçon et amateur de chasse habitant le val Onsernone, s’exprime: «Je suis né sur ce territoire et il y a beaucoup de lieux que j’aime où, si le parc passe, je ne pourrai plus aller qu’en touriste.» Brandi sous le label «Parc», l’espoir de créer de nouveaux emplois, de relancer l’économie d’une vallée qui a récemment vu fermer sa poste et sa banque ne convainc pas Djanum Sauter: «Les touristes ne contribuen­t déjà pas au développem­ent de la région. Avec plus de trafic, ils ne laisseront derrière eux que davantage de déchets à recycler.»

Lors du débat aux couleurs locales animé récemment par la RSI dans une salle communale, les applaudiss­ements des uns répondent aux huées des autres. «Cela ne nous coûtera que de petits sacrifices pour un grand bien collectif, et nous pourrons à nouveau nous prononcer après dix ans d’expérience», encourage une habitante qui a pris la parole dans le public. Mais, en attendant dimanche, les craintes et les espoirs se sont cristallis­és.

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(ALESSANDRO CRINARI/TI-PRESS/KEYSTONE)

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