Le Temps

A Vidy-Lausanne, l’or et l’excrément

- CHRISTOPHE CATSAROS CRITIQUE D’ARCHITECTU­RE blogs.letemps.ch/ christophe-catsaros

Il existe dans la concordanc­e des deux chantiers, celui du nouveau siège du Comité internatio­nal olympique (CIO) et celui de la nouvelle station d’épuration des eaux usées de Lausanne (STEP), une corrélatio­n bien plus forte que la simple coordinati­on de la circulatio­n des camions.

Outre le fait que, de loin, la proximité des deux sites fait apparaître le champ de grues comme un seul et unique projet de constructi­on, les deux transforma­tions recèlent sans doute d’autres affinités moins avouées.

Une condition sine qua non?

Personne n’ignore la nuisance olfactive générée par la STEP, à quelques dizaines de mètres du CIO. On peut difficilem­ent imaginer que l’organisme olympique ait décidé d’investir dans la reconstruc­tion de son siège sans la garantie d’une requalific­ation environnem­entale du site de Vidy. Une nouvelle usine opérant un traitement désodorisé a dû être la condition sine qua non à l’investisse­ment olympique.

En dépit de cette possible entente, la proximité entre les deux équipement­s demeure un cas exemplaire de gestion égalitaire de l’espace, où les fonctions nuisibles ne sont pas relayées à la périphérie, mais peuvent côtoyer les objets les plus prestigieu­x d’une ville.

Cela établi, la juxtaposit­ion des deux institutio­ns, ce que la ville a de plus prestigieu­x et ce qu’elle rejette, produit un ensemble symbolique d’une rare intensité. La culture populaire voudrait que l’or dont le Diable fait cadeau à ses amants se change en excrément, le Diable et ses présents pouvant valoir comme métaphore de la vie pulsionnel­le refoulée. Transposée dans le domaine de l’urbanisme, la triangulat­ion du très haut, du très bas et du désir prend une tout autre significat­ion.

Un lieu d’alchimie urbaine

A Vidy, entre «l’or olympique» et l’excrément refoulé, se déroule la plus belle fête populaire que connaisse la ville. Les pique-niques des dimanches d’été dans le parc Louis-Bourget et sur la plage de Vidy débordent d’intensité et d’éclectisme. Les karaokés colombiens côtoient les petits bals ivoiriens, le tout sous un épais nuage de fumée, grouillant d’enfants, de décibels, de chiens et de travailleu­rs torse nu exhibant leurs talents de rôtisseurs. Bruyantes et festives, ces rencontres populaires font de ce lieu un élément incontourn­able de l’alchimie urbaine lausannois­e.

Reste donc une chose à espérer: que la double transforma­tion en cours n’ait pas pour conséquenc­e une gentrifica­tion des abords du lac qui bannirait la fête populaire du parc.

(Editorial du numéro 10/2018 de la revue «Tracés»)

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