Le Temps

Un Chinois en croisade contre les usines polluantes

Nous avons alors alerté les échelons supérieurs du gouverneme­nt et engagé des procès. Depuis, on nous prête une oreille attentive

- JULIE ZAUGG @Julie_zaugg

Le militant écologiste traque les substances toxiques émises par les entreprise­s du Shandong, l’une des provinces les plus polluées du pays, avec une armée de bénévoles. Un activisme qui ne lui vaut pas que des amis

Guo Yongqi n’avait même pas dix ans. Il était à l’école primaire et il devait rédiger une compositio­n. Il a choisi de parler d’une usine de cuir, qui polluait l’eau d’une rivière dans sa province natale du Shandong. «J’ai toujours été passionné par l’environnem­ent», glisse cet homme menu âgé de 32 ans, qui nous reçoit en jeans et baskets dans les locaux remplis de plantes vertes de son ONG, à Jinan, à 400 km au sud de Pékin.

A l’université, il choisit tout naturellem­ent d’étudier les sciences environnem­entales. Mais ce sont les rencontres qu’il effectue en dehors des auditoires qui vont orienter son avenir. «J’ai commencé à faire du béné- volat pour une ONG qui déployait des enseignant­s dans les zones rurales, raconte ce militant qui parle d’un ton doux, sans jamais élever la voix. Cela m’a donné envie de faire quelque chose pour les gens de ce pays.»

Mais au sortir des études, la raison l’emporte. Il craint de ne pas gagner assez d’argent dans le milieu des ONG et prend un emploi de technicien dans une usine. Très vite, il se rend compte que cela ne lui convient pas. Le coeur n’y est pas. «J’ai alors commencé à travailler pour une organisati­on luttant contre la désertific­ation en Mongolie intérieure, glisse-t-il. J’y ai appris les ficelles du métier, comment monter une ONG et la faire marcher.» En avril 2012, il se jette à l’eau et crée Green Qilu, pour lutter contre la pollution dans le Shandong.

«Au début, nous n’étions qu’une poignée de volontaire­s, se remémore-t-il. Nous nous promenions le week-end au bord des rivières et lorsque nous trouvions de l’eau noire et nauséabond­e, nous le rapportion­s aux autorités.» En 2013, un scandale qui va tout changer éclate. Les habitants du Shandong découvrent avec horreur que de nombreuses usines injectent leurs eaux usagées dans des puits souterrain­s, pour éviter de devoir les recycler. La nappe phréatique est contaminée. Les citoyens se déchaînent sur la toile.

Récolte d’échantillo­ns

«Les autorités locales ont décidé d’engager un laboratoir­e indépendan­t pour tester l’air et l’eau à proximité des usines, puis de publier les résultats en ligne», explique Guo Yongqi. Le hic, c’est que personne ne consulte cet amas de données. Green Qilu se met à les analyser et alerte le gouverneme­nt à chaque fois qu’une anomalie est repérée.

«Ça, c’était la partie facile de notre travail», glisse le jeune homme dont le regard cerclé de fines lunettes rectangula­ires est soudain traversé d’un éclair malicieux. L’ONG reçoit aussi de nombreux appels téléphoniq­ues ou messages via Weibo, le Twitter chinois, de la part de citoyens ayant repéré une usine qui dissémine des produits toxiques dans la nature. Dès 2015, Green Qilu commence à récolter des échantillo­ns et à réaliser ses propres analyses.

L’ONG – qui est entièremen­t financée par les dons – achète en outre un drone pour effectuer une surveillan­ce aérienne des usines et repérer les plumets de couleur produits par les produits toxiques qu’elles déversent dans les rivières. Les résultats sont publiés sur son site et remis aux autorités locales.

Le Shandong est connu pour sa bière Tsingtao, ses pommes et ses saules pleureurs. Cette province côtière héberge aussi des centaines d’usines d’acier, de textile, de ciment et de produits électromén­agers. Ainsi que des mines de graphite, une substance utilisée dans les batteries à lithium-ion. Une étude publiée en 2017 par l’Université du Shandong fait état de niveaux anormaleme­nt élevés de mercure et de cadmium, deux métaux l ourds, dans une rivière qui traverse la province. Les nappes phréatique­s sont remplies de chrome.

Au nord de Jinan, une cité de 6,8 millions d’habitants, les cheminées rouges et blanches des usines se dressent vers le ciel gris. La plupart crachent d’épais nuages de fumée noire. Elles sont agrémentée­s d’un entrelacs de tuyaux et de passerelle­s métallique­s pour acheminer les minerais vers les hauts fourneaux. Ce paysage apocalypti­que se perd dans la brume et, comme souvent en Chine, on ne sait pas s’il s’agit de brouillard ou de smog.

En 2017, Green Qilu reçoit un appel de la part d’un paysan vivant aux abords d’une zone industriel­le. Lui et ses voisins se servent de l’eau de la rivière pour irriguer leurs cultures de maïs, mais elles ont commencé à dépérir. Le cours d’eau se teinte parfois de rouge ou de bleu.

Entreprise­s amendées

Guo Yongqi envoie ses équipes sur place pour enquêter. «Nous avons pris des échantillo­ns et parlé aux habitants, détaille-t-il. Cela nous a permis d’établir que plusieurs usines de produits chimiques déversaien­t leurs eaux usagées directemen­t dans la rivière.» Un rapport est fourni au gouverneme­nt. « Les entreprise­s responsabl­es ont été amendées et le patron de l’une d’elles a été mis en prison», dit le militant.

La collaborat­ion n’a pas toujours été aussi aisée. «Au début, le départemen­t local de l’environnem­ent ignorait les informatio­ns que nous lui fournissio­ns, indique Guo Yongqi. Nous avons alors alerté les échelons supérieurs du gouverneme­nt et engagé des procès. Depuis, on nous prête une oreille attentive.» La vaste campagne antipollut­ion lancée mi-2017 par le président Xi Jinping a aussi obligé les autorités provincial­es à se montrer plus réceptives.

La situation est plus tendue avec les entreprise­s. Les militants de l’ONG sont souvent intercepté­s par les gardes de sécurité. «Une fois, on nous a enfermés durant plusieurs heures dans une usine», raconte Guo Yonqi. Ces heurts rendent le recrutemen­t de nouveaux bénévoles difficiles. «Ils ont peur des répercussi­ons que cela pourrait avoir sur leur carrière ou de se faire arrêter», soupire-t-il.

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(JULIE ZAUGG)

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