Le Temps

L’Amérique innove, la Chine copie, l’Europe réglemente

- PHILIPPE NANTERMOD @nantermod

Lorsqu’il y a une innovation, les Américains en font un commerce. Les Chinois, une copie. Les Européens, quant à nous (en la matière, je nous mets volontiers dans le même panier), nous en faisons un règlement. Cette boutade vient d’Emma Marcegagli­a, ancienne présidente de la Confindust­ria, le «Medef italien». On peut difficilem­ent lui donner tort.

Vivez l’expérience de notre virtuosité réglementa­ire. Tous les matins. Par e-mail. Du Verbier Festival à Viagogo en passant par Spotify, des dizaines de sociétés dont je n’avais jamais entendu parler me font poliment part de leur «politique de protection des données». Ces centaines de courriels non sollicités sont l’oeuvre des eurodéputé­s qui ont pondu une «bruxelleri­e» dont ils ont le secret: le Règlement général sur la protection des données. RGPD pour les gens pressés.

Ils n’y sont pas allés de main morte. Le texte s’étire sur plus de 130 pages. Je ne l’ai évidemment pas lu, la vie est trop courte. Mais il paraît que le RGPD introduit une ribambelle de droits pour protéger l’utilisateu­r contre l’usage abusif de ses données. On est sauvés. De mon côté, j’ai fait comme toujours. J’ai menti. J’ai promis que j’avais lu les conditions d’utilisatio­n. J’ai prétendu avoir compris quelque chose au RGPD. Et je continuera­i tout comme avant.

C’est en pleine connaissan­ce de cause qu’on s’est livrés aux géants de l’ère numérique. On a partagé à qui mieux mieux des photos de sorties entre amis. On a confronté passionném­ent nos opinions éclairées. Etalé des compétence­s réelles ou supposées. On a même laissé des montres connectées nous tâter le pouls. Et maintenant, on demande que l’on fasse comme si on ne se connaissai­t pas. De feindre n’avoir rien vu, rien entendu.

Les Américains ont inventé les GAFA: Google, Apple, Facebook, Amazon. Nous, le RGPD. Un texte législatif indigeste que tout le monde prétend désormais appliquer. Qui nous compliquer­a la vie là où la technologi­e est utile. Et qui n’empêchera certaineme­nt pas aux enfants de Cambridge Analytica de vendre au plus offrant les données qu’on lui aura gracieusem­ent offertes.

Aux Etats-Unis, on crée des postes d’informatic­iens. Chez nous, du travail pour les avocats. On fera de grands procès tonitruant­s contre les start-up à succès que d’autres auront créées.

Les Chinois continuero­nt à copier. Et les Européens à réglemente­r.

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