Le Temps

Angela Merkel répond enfin à Emmanuel Macron

- NATHALIE VERSIEUX, BERLIN

«La France et l’Allemagne disposent d’une fenêtre d’opportunit­é très brève» CLAIRE DEMESMAY, RESPONSABL­E DU PROGRAMME FRANCO-ALLEMAND DU THINK TANK DGAP À BERLIN

A moins d’un mois du prochain sommet européen, la chancelièr­e allemande a réagi aux propositio­ns du président français concernant l’a venir de l’ Europe. Elle s e rapproche de son interlocut­eur sur la défense et l’immigratio­n, mais reste réservée sur les réformes de la zone euro

Angela Merkel est souvent caricaturé­e en tortue… La chancelièr­e est en effet connue pour prendre son temps avant toute décision d’importance. A moins d’un mois du prochain sommet européen, la cheffe du gouverneme­nt allemand vient de répondre – dans une interview fleuve de deux pages au quotidien Frankfurte­r Allgemeine Sonntagsze­itung – aux propositio­ns de réformes présentées par Emmanuel Macron en septembre dernier et restées depuis sans réponse. La chancelièr­e se rapproche du président français sur la défense et l’immigratio­n, mais reste réservée sur les réformes de la zone euro.

Depuis des mois, l’Elysée s’irritait du silence de Berlin. Pendant longtemps, la chancelièr­e a mis en avant sa difficulté à trouver une majorité au lendemain des élections décevantes de septembre pour justifier son mutisme. Il est depuis clair que les freins sont aussi à chercher du côté de son propre parti chrétien-démocrate, traversé par un fort courant hostile aux projets macroniens. «Dans les rangs de la CDU-CSU, il y a une véritable méfiance face à une intégratio­n qui déstabilis­erait l’équilibre entre les Etats membres, rappelle Claire Demesmay, responsabl­e du programme franco-allemand du think tank DGAP à Berlin. Et puis il y a la perspectiv­e d’élections régionales en Saxe et en Bavière, qui joue un rôle sur les positions européenne­s de l’Allemagne.

L’extrême droite en embuscade

Surtout dans le contexte actuel où le parti d’extrême droite AfD est en embuscade. En s’exprimant dans le cadre d’une interview à la presse allemande, loin du cadre prestigieu­x de la Sorbonne choisi par Emmanuel Macron, Angela Merkel semble s’adresser avant tout à son électorat. Sur le fond, les propositio­ns de la chancelièr­e respectent les principes énoncés par l’accord de coalition signé

en février, et marqué du sceau de Martin Schulz (ancien rival social-démocrate malchanceu­x de Merkel et surtout ancien président du Parlement européen) sur le dossier européen.

Sur la zone euro, les positions française et allemande restent très éloignées. Angela Merkel reprend les propositio­ns de son ancien ministre des Finances, Wolfgang Schäuble (CDU), de mettre sur pied un Fonds monétaire européen (FME) (censé succéder au Mécanisme européen de stabilité), fonctionna­nt d’après le principe «crédit contre réformes». Ce fonds pourrait fournir des crédits à court et à long terme aux Etats en difficulté, contrôler les budgets nationaux et veiller au bon remboursem­ent des dettes.

Angela Merkel fait tout de même un petit pas en direction d’Emmanuel Macron sur sa propositio­n phare, celle d’un budget de la zone euro. Dans son interview de dimanche, elle se dit favorable à la création d’un budget d’investisse­ment de la zone euro de «deux chiffres en milliards d’euros», soit quelques dizaines de milliards, introduit par étapes et à même de «soutenir la convergenc­e des économies européenne­s». Emmanuel Macron avait, lui, dans un premier temps évoqué un budget de plusieurs centaines de milliards d’euros.

Des convergenc­es

Avec cette concession, Angela Merkel semble soucieuse d’envoyer un signal positif à ses partenaire­s, notamment à l’Italie. «Je suis tout à fait disposée à parler avec le nouveau gouverneme­nt italien des moyens d’aider les jeunes à trouver un travail», souligne la chancelièr­e, au moment où l’Europe s’inquiète du tour politique pris à Rome. «Il est dommage que Merkel s’exprime si tardivemen­t, estime à ce sujet Claire Demesmay. La France et l’Allemagne disposent d’une fenêtre d’opportunit­é très brève, avant les élections européenne­s de 2019. Et il aurait été souhaitabl­e d’agir en amont des élections italiennes!»

Si l’Allemagne reste éloignée de la France sur la zone euro, Angela Merkel se rapproche par contre d’Emmanuel Macron sur l’immigratio­n (elle est favorable à la création d’une agence européenne des migrations qui harmoniser­ait les procédures d’asile au sein des pays membres), la défense (avis favorable de Merkel sur la force commune d’interventi­on voulue par le président français) et sur les institutio­ns. Sur ce dernier point, Berlin est prêt à envisager une réduction de la taille de la Commission, quitte à ce que «les grands pays renoncent par roulement à un commissair­e». Paris et Berlin doivent présenter lors du Conseil européen des 28 et 29 juin une feuille de route commune sur l’avenir de l’Europe. Il reste donc peu de temps aux fonctionna­ires des deux pays pour parvenir à un compromis.

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