L’affaire Kohler, de Genève à l’Elysée
Le principal collaborateur d’Emmanuel Macron fait l’objet d’une plainte pour conflit d’intérêts en raison de ses liens avec le croisiériste italo-suisse MSC, basé à Genève
Emmanuel Macron est bien parti pour se familiariser avec la géographie du canton de Genève. C’est en effet au chemin Rieu, au siège de l’armateur italo-suisse MSC (Mediterranean Shipping Company) dans le quartier huppé de Champel, que se trouvent une partie des réponses aux questions posées en vain depuis plusieurs semaines par le site d’information Mediapart à son principal collaborateur, le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler. Des questions qui ont amené lundi le Parquet national financier (PNF) à ouvrir une enquête pour «prise illégale d’intérêts» à son sujet, après le dépôt vendredi d’une plainte contre le haut fonctionnaire par l’association de lutte contre la corruption, Anticor.
De septembre 2016 à mai 2017, Alexis Kohler a officié comme directeur financier du croisiériste, avec Genève pour lieu officiel de travail. Un poste crucial pour ce groupe international de 70000 employés, mais dont la réa- lité est aujourd’hui contestée. Collaborateur du ministre socialiste des Finances Pierre Moscovici (mai 2012 à mars 2014), puis du ministre de l’Economie Emmanuel Macron (août 2014 à août 2016), cet administrateur civil de 45 ans est soupçonné d’avoir fait jouer ses liens familiaux avec la dynastie Aponte, propriétaire de MSC, pour y trouver un confortable refuge professionnel, tout en se consacrant à la campagne présidentielle de 2017. Il est aussi soupçonné par Anticor d’avoir, depuis son bureau genevois puis après son retour dans l’administration française à partir de l’élection de l’actuel président français, cherché à faire prévaloir les intérêts économiques de MSC, principal client des chantiers navals de Saint-Nazaire.
Deux constats avérés
Lancée à la mi-avril par des révélations de Mediapart, «l’affaire Kohler» repose sur deux constats avérés. Le premier est le fait qu’Alexis Kohler est, par sa mère, cousin de la famille Aponte, ce qu’il n’a d’ailleurs jamais caché. Second constat: cette proximité a, par deux fois, été jugée problématique par la commission de déontologie de la fonction publique qui, en France, donne son avis lorsque des hauts fonctionnaires optent pour le secteur privé. En juin 2014, ladite commission avait donné un avis négatif à la première demande d’Alexis Kohler de rejoindre MSC, compte tenu de l’implication passée de ce dernier dans des dossiers de subventions déposés par le croisiériste. Et il a fallu, en 2016, l’intervention d’Emmanuel Macron pour lever un second veto, ouvrant la voie à l’arrivée de son collaborateur au 12-14 chemin Rieu, ancien siège mondial de Japan Tobacco racheté en 2013 par MSC.
Outre le fait d’avoir bénéficié d’un atterrissage confortable dans le secteur privé grâce à ses connexions familiales, Alexis Kohler est soupçonné d’avoir joué double jeu. Côté pile, le directeur financier de MSC a surtout passé son temps, en 2016-2017, à diriger l’état-major de campagne du candidat «d’En Marche!» pour lequel il officiait entre Paris et Grenoble. Le Temps avait ainsi retrouvé dans les «Macron Leaks» (ces salves de documents piratés dans les serveurs d’En Marche et largement diffusés au début mai 2017) plu- sieurs échanges d’e-mails portant trace du soutien d’Alexis Kohler à la candidature de l’actuel député LREM des Français de Suisse, Joachim Son-Forget, alors que d’autres candidats se profilaient.
«Hiérarchie informée»
Côté face, le secrétaire général de l’Elysée, aujourd’hui passage obligé pour accéder au président français, serait intervenu lors des négociations délicates pour le sauvetage des chantiers navals de Saint-Nazaire entre l’Etat français et l’italien Fincantieri. Même si MSC, candidat à la reprise des chantiers, n’a finalement pas obtenu gain de cause. Le Monde a révélé qu’en mars 2017, les négociateurs du Ministère des finances avaient été «très surpris» de voir le nom de leur ancien collègue dans la délégation «armateurs» au chevet des chantiers.
Les avocats d’Anticor se sont bien gardés, lundi, d’accuser Alexis Kohler d’avoir enfreint la loi. Leur plainte, ont-ils expliqué, vise à obtenir des éclaircissements sur ce que Mediapart estime en revanche être déjà «une affaire d’Etat». Lors d’une rencontre le 25 mai avec l’association de la presse présidentielle française à Paris, l’intéressé a juste répondu qu’il avait «toujours tenu sa hiérarchie informée de ses liens et de ses démarches».
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