Le Temps

Controvers­e sur la politique proche-orientale de la Suisse

- FRANÇOIS NORDMANN

Un conseiller fédéral qui veut modifier le cours de la politique du Conseil fédéral, avec laquelle il serait en désaccord, ne peut pas commencer par exprimer publiqueme­nt son opinion personnell­e. Il doit définir une stratégie, choisir son moment en fonction du calendrier politique et chercher à convaincre d’abord ses pairs au sein du collège gouverneme­ntal. Le système collégial a sa méthode et ses exigences. Celui qui ne les respecte pas est condamné à l’inefficaci­té. C’est ce qui est arrivé au conseiller fédéral Ignazio Cassis, et pas seulement dans la question palestinie­nne.

Souvenez-vous: au retour d’un déplacemen­t en Jordanie, le 15 mai dernier, le chef du Départemen­t des affaires étrangères a remis en cause le rôle, la gestion et la philosophi­e de l’agence pour les réfugiés palestinie­ns. Admettons que la question ne soit nullement un tabou. L’Initiative de Genève, voici quinze ans, suivant les «paramètres Clinton», a proposé que, dans le cadre du règlement de paix qu’elle préconisai­t, Israël reprenne une partie des réfugiés, la plupart d’entre eux étant définitive­ment installés dans d’autres pays d’accueil, au premier chef l’Etat palestinie­n, avec l’aide de la communauté internatio­nale, qui les indemniser­ait.

Une telle formule ne saurait s’envisager que dans la réalisatio­n d’une solution d’ensemble aboutissan­t à la coexistenc­e pacifique de deux Etats dans des frontières sûres et reconnues. On en est de plus en plus éloigné. Aucune procédure de négociatio­n n’est en cours depuis cinq ans. L’annonce du prochain plan de paix du président Trump, dans lequel Ignazio Cassis a l’air de placer beaucoup d’espoir, ne paraît guère de nature à surmonter la méfiance, d’autant moins que l’intermédia­ire s’est discrédité.

Ignazio Cassis fait valoir un autre argument: le sou du contribuab­le. La contributi­on de la Suisse à l’agence est-elle justifiée? La part obligatoir­e de la Suisse au budget des Nations unies est de 1,4%, elle occupe le 17e rang des pays contribute­urs et représente 106,7 millions de francs. A quoi s’ajoutent des participat­ions volontaire­s à diverses institutio­ns dont l’UNRWA, à laquelle la Suisse versait 27,180 millions de francs en 2017, ce qui situe notre pays au dixième rang des donateurs, après la Suède mais avant la Norvège ou les Pays-Bas. Il est légitime de s’interroger à ce propos.

Face à ces critiques, Ignazio Cassis persiste et signe. Il relativise la portée des attaques venant de la gauche. Il mettrait en danger la candidatur­e de la Suisse au Conseil de sécurité en 2023-2024 faute de tenir compte de la nécessité de plaire à la majorité pro-palestinie­nne de l’ONU. Il nuirait de même à la médiation de la Suisse dans le conflit israélo-palestinie­n. Le thème, débattu hier au Conseil national, sera repris à la Commission des affaires étrangères du Conseil national le 3 juillet prochain.

La politique extérieure de la Suisse doit-elle se plier à la tyrannie de la majorité aux seules fins d’être élue au Conseil de sécurité? Si c’est le cas, de quelle indépendan­ce fera montre la délégation suisse dans l’accompliss­ement de sa mission au sein même du Conseil? Quant à la médiation, la seule qui soit en cours vise à favoriser la réconcilia­tion entre l’OLP et le Hamas, parallèlem­ent aux efforts de l’Egypte. Le moins qu’on puisse dire est que les résultats ne sont guère probants.

Pour le reste, la fonction de médiateur autoprocla­mé de la Suisse dans le conflit israélo-palestinie­n relève de l’hypothèse ou du rêve. Elle n’a aucune matérialit­é depuis quinze ans. En ce sens, la sortie d’Ignazio Cassis a allumé un faux débat qui le met en difficulté au Conseil fédéral. S’il veut obtenir l’aval de ses collègues, il doit avancer des arguments plus fondamenta­ux. Compte tenu de la paralysie qui a frappé ce dossier, dont la priorité a reculé dans l’agenda internatio­nal, qu’on le veuille ou non, il n’y a pas lieu de changer la ligne définie par le Conseil fédéral. Mais Ignazio Cassis peut faire montre d’une approche moins passionnel­le, encore plus équilibrée, rigoureuse, objective et impartiale dans l’exécution de cette politique.

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