Le Temps

Se battre pour les services publics, au nom de l’intérêt général

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Le cliché a fait le tour du monde: on y voit le col de l’Echelle dans les Alpes, lieu de passage des migrants entre la France et l’Italie bloqué par un grillage de chantier en plastique. Quelques heures auparavant, une petite dizaine de militants d’extrême droite réunis sous l’étiquette de Génération identitair­e s’étaient affairés pour planter ces piquets afin de «veiller à ce qu’aucun clandestin ne puisse entrer en France».

Les autorités françaises ont eu beau jeu de dénoncer «une basse opération de communicat­ion», alors qu’elles venaient de présenter à l’Assemblée une loi asile et immigratio­n au caractère répressif consacrant le recul des droits des étrangers. Un texte censé allier «humanité et fermeté», qui en réalité s’inscrit dans une logique sécuritair­e, transforma­nt étrangers, migrants et réfugiés en boucs émissaires de la crise économique et du chômage.

A en croire le gouverneme­nt, la croissance anémique et des emplois en fuite à l’étranger auraient également d’autres responsabl­es: des entreprise­s publiques «obsolètes», des syndicalis­tes «sectaires» et des fonctionna­ires «privilégié­s». Leurs statuts sont officielle­ment considérés par l’Elysée comme «inappropri­és».

Pour sortir de ce cercle vicieux et embrasser la «modernité», il faudrait brader les principaux biens de l’Etat: loterie nationale, infrastruc­tures aéroportua­ires et, demain, les barrages, le fret ferroviair­e… Et tant pis si tous ces actifs assurent des recettes régulières aux finances publiques. A court terme, s’en défaire permettrai­t d’alimenter un fonds d’investisse­ment afin de dynamiser une nation désormais présentée comme une start-up.

C’est cette logique qui a poussé le gouverneme­nt français à engager l’ouverture des lignes ferroviair­es à la concurrenc­e, préambule à la privatisat­ion de la SNCF. Et pour faire passer cette réforme, rien de mieux que de capitalise­r sur le ras-le-bol de la population, dont le quotidien se trouve brutalemen­t dégradé par les débrayages à répétition dans le secteur des transports.

On comprend la lassitude de la population française. Elle a d’autant plus de mal à défendre les fonctionna­ires contre les attaques du gouverneme­nt qu’elle a vu la qualité de ce dernier chuter au cours des deux dernières décennies. Au nom d’une «nouvelle gestion publique» – en réalité, l’adoption de la logique de l’entreprise privée dans le service public – de nombreux trains ont été supprimés en dehors des heures de pointe et remplacés par des autocars, et les retards sont de plus en plus fréquents, le personnel des services techniques ayant été réduit, baisses de coûts obligent.

Difficile, également, pour les citoyens de se mobiliser pour un hôpital dont on déplore le mauvais fonctionne­ment ou pour des maisons de retraite dont émanent quotidienn­ement des alertes sur l’impossibil­ité de bien recevoir. Et on voit mal les étudiants et leurs parents s’enthousias­mer pour une école et une université en pleine crise. Partout, le personnel – des femmes en grande majorité – tente de faire au mieux pour assurer le service, dans des conditions tellement précaires qu’on se demande s’il vaut la peine de défendre ce «service public» qui n’est plus que l’ombre de lui-même.

Pourtant, à l’Internatio­nale des services publics, une fédération syndicale internatio­nale qui se consacre à la promotion des services publics de qualité partout dans le monde, nous savons que la bataille qui se joue actuelleme­nt en France va bien au-delà du traditionn­el faceà-face entre syndicats et gouverneme­nt. Et que ses conséquenc­es dépasseron­t ses frontières. L’enjeu n’est pas seulement de défendre des entreprise­s publiques rendues méconnaiss­ables depuis des années par des exigences comptables et des politiques de gestion en vigueur dans le privé, mais de revendique­r haut et fort la refondatio­n d’un service public de haute qualité, au nom de l’intérêt général. L’idée selon laquelle «ouvrir à la concurrenc­e» permet un service de qualité et moins coûteux est fausse, comme l’a montré la gestion privée de l’eau en France, dominée par deux oligopoles. L’échec est tellement patent que plus de 100 villes, y compris Paris, ont décidé de «remunicipa­liser» ce marché.

Il ne s’agit pas seulement de s’inscrire en défensive contre la «modernisat­ion» prônée par l’Elysée, mais de rappeler que le travail, l’éducation, la santé, une retraite digne, des infrastruc­tures de qualité, la mobilité des personnes, l’égalité entre les femmes et les hommes, la culture, le tout dans des conditions respectant l’environnem­ent, ne sont pas des services administré­s par des entités privées ou publiques, mais des droits dans une société démocratiq­ue. Et il suffit de se pencher sur l’histoire désastreus­e de la privatisat­ion des chemins de fer au Royaume-Uni pour se rappeler que le secteur privé est incapable de prendre en charge l’intérêt général. En France, comme dans le reste du monde, le service public ne peut être livré au diktat du marché, du dumping social et de la concurrenc­e.

L’idée selon laquelle «ouvrir à la concurrenc­e» permet un service de qualité et moins coûteux est fausse

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ROSA PAVANELLI SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE L’INTERNATIO­NALE DES SERVICES PUBLICS

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