Le Temps

Créer des toitures végétalisé­es en favorisant les plantes indigènes

Les toitures végétalisé­es fleurissen­t dans les centres urbains. Mais la verdure ne rime pas toujours avec écologie. De Genève à Bâle, des projets essaiment pour concevoir des espaces à la fois durables et esthétique­s

- OLGA YURKINA

Un soleil généreux arrose les prairies de l’espace expériment­al sur le toit de la Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architectu­re (Hepia) à Lullier, dans la campagne genevoise. Les fleurs des champs environnan­ts ont inspiré les chercheurs dans l’élaboratio­n d’un mélange de plantes indigènes destiné à tapisser les bâtiments, du sur-mesure pour le climat local. Plusieurs assemblage­s sont actuelleme­nt testés sur différents types de terrain afin de mettre au point une variante durable.

Car si les bienfaits de toitures végétalisé­es pour la ville et ses habitants sont indéniable­s – régulation des eaux de pluie, lutte contre la pollution et le réchauffem­ent –, tout ce qui est vert n’est pas forcément écologique. L’impact environnem­ental dépend du choix des plantes et des matériaux utilisés. A Genève comme ailleurs, certains jardins suspendus pèchent par l’usage onéreux de ressources et d’une pauvre biodiversi­té.

Enrichir la biodiversi­té

«On recourt souvent à des monocultur­es d’orpins ou à des espèces exotiques, au détriment de la biodiversi­té locale, observe Julie Steffen, jeune biologiste-botaniste de l’Hepia qui avait recensé la végétation sur les toits de la ville. Un substrat couramment utilisé est la pouzzolane, une roche volcanique simple à employer et design mais qui est importée.»

Les chercheurs de son école veulent démontrer qu’en favorisant un mélange de plantes locales sur un sol composé de terre et de béton recyclé il est possible de créer sur les toits des espaces verts à forte valeur écologique ajoutée et riches en biodiversi­té. La parcelle expériment­ale de Lullier bourdonne de preuves. Des oeillets des Chartreux ouvrent leurs grands yeux pourpres tandis qu’une mousse à brindille rouge se faufile entre des touffes d’herbes sur un sol caillouteu­x. Côté faune, lézards, abeilles et papillons qui s’agitent ne sont que la partie visible d’un petit monde très actif. «On reconstitu­e les communauté­s végétales avec l’objectif de se rapprocher au plus près des milieux naturels, reprend la botaniste. Et la nature semble savoir profiter de cette fenêtre: il y a des espèces menacées qui sont venues s’y installer spontanéme­nt alors qu’elles n’étaient pas présentes dans notre semis.»

Toit-prairie

L’expérience s’inscrit dans une tendance qui gagne du terrain dans les villes suisses: transforme­r les toitures plates en prairies sauvages qui serviront de refuge à la flore et la faune locales. «Il s’agit de recréer sur les bâtiments des écosystème­s qui ont régressé en raison de l’urbanisati­on, résume Patrice Prunier, responsabl­e du projet. C’est une forme de compensati­on.» En plus, les coûts comme l’impact sur l’environnem­ent sont moindres grâce à l’usage de matériaux recyclés et d’espèces mieux adaptées aux conditions locales.

Le concept s’est implanté sur un bâtiment administra­tif à Onex. Le canton de Genève, qui soutient la démarche de l’Hepia, veut ainsi donner l’exemple. Une partie de la toiture a été recouverte d’un substrat expériment­al, mélange de matériaux issus du recyclage: gravier, briques, terre, compost, écorces et branchages. Mais la biodiversi­té y a-t-elle établi ses quartiers? «Il y a tellement de paramètres qu’il est encore trop tôt pour en tirer des conclusion­s, nuance Eric Amos, professeur en architectu­re du paysage. Une chose est sûre: un toit peuplé de plantes indigènes sur un sol constitué de matériaux recyclés, d’origine locale, est d’une plus grande qualité écologique que celui recouvert de substrat industriel importé et de rouleaux de verdure préfabriqu­és. Et le coût reste quasi le même.»

Cela dit, il faut laisser du temps à la végétation de transforme­r un espace urbain en une niche de biodiversi­té. «On estime que le taux de couverture potentiel après deux ans est de 75%, ce qui est normal dans les milieux hostiles. Les conditions sur les toits sont extrêmes et s’apparenten­t à celles des sols pauvres», prévient le chercheur.

Abeilles inconnues

La même formule est également appliquée pour coiffer les bâtiments de Lausanne, qui subvention­ne la réalisatio­n de toitures végétalisé­es privées ou publiques depuis 2015. Le bilan? Il est positif. Sur les toits à Beaulieu et aux Figuiers, 59 espèces d’abeilles sauvages ont été répertorié­es dont dix figurent sur la liste rouge des espèces menacées et six sont inconnues dans la ville. Les oiseaux, comme le rougequeue noir, le chardonner­et ou la bergeronne­tte grise, s’y plaisent aussi beaucoup, sans parler de la renaissanc­e de la flore indigène.

Une brochure de la ville fait la part belle aux préoccupat­ions écologique­s, en matière du choix de variétés et de l’aménagemen­t. Et donne aussi quelques conseils. Un épandage irrégulier en creux et bosses est par exemple conseillé pour multiplier des micro-habitats d’invertébré­s. Dans ses recommanda­tions, Lausanne s’est notamment inspirée de Bâle, pionnière en matière de végétalisa­tion de l’espace urbain.

En 1955, la ville sur le Rhin était la première à repérer le potentiel des toits verts pour la sauvegarde de la biodiversi­té. Des initiative­s similaires ont essaimé dans les villes alémanique­s. «Zurich, Berne, Saint-Gall, Lucerne et un nombre d’autres communes proposent leurs propres mix de semis et obligent à verdir les toits plats des nouvelles constructi­ons ou lors de rénovation­s», explique Stephan Brenneisen, responsabl­e des recherches sur l’écologie des villes à la Haute Ecole de Wädenswil.

En Suisse romande, Neuchâtel a une loi similaire depuis 1998. A Lausanne et Genève, il n’y a pas d’obligation mais la végétalisa­tion biodiversi­fiée est hautement recommandé­e. Les deux villes se réfèrent à une norme de la Société suisse des ingénieurs et des architecte­s qui favorise la compensati­on écologique.

Concepts ingénieux

Reste justement le défi architectu­ral, car l’équilibre rétabli peut vite être compromis par un aménagemen­t et un entretien ruineux en ressources. Les concepteur­s font preuve d’ingéniosit­é. Ainsi, sur un dépôt de tramways à Bâle, des roseaux de Chine ont été utilisés comme support pour la végétation, le toit ne pouvant supporter une charge trop lourde. L’épaisseur du substrat et le choix des variétés sauvages ont permis en outre de créer un écosystème autonome pour se passer de tonte et d’arrosage.

A Zurich, sur le campus de la Haute Ecole des arts (Toni-Areal), les architecte­s du bureau EM2N et du Studio Vulkan ont opéré la rencontre entre la haute technologi­e et le processus naturel de décomposit­ion. Ils ont laissé leur jardin, aujourd’hui épanoui, se développer à partir de jeunes pousses plantées dans d’anciennes caisses à fruits. Avec le temps, le bois putréfié a nourri la terre, les herbes et les arbustes ont pris possession du terrain et l’espace jadis gris s’est transformé en paysage vert vallonné. Un système astucieux de récupérati­on et de gestion d’eau ainsi que le choix de variétés locales habituées à la sécheresse assurent un entretien durable.

La solution mousse

Si les plantes des prairies sèches sont privilégié­es sur les toits, une autre famille de végétaux, très discrète, affiche aussi un grand potentiel: les mousses. Elles se révèlent en effet idéales pour le verdisseme­nt du bâti. Les maisons traditionn­elles en Europe du Nord, couvertes de tourbe, d’herbes et de mousses, sont d’ailleurs les exemples d’une végétalisa­tion écologique avant l’heure.

A l’Hepia, Julie Steffen tient à réhabilite­r ces créatures modestes dans l’usage architectu­ral: «Les bryophytes ne sont pas coûteuses car elles ne demandent presque aucun entretien et elles n’ont pas de racines qui peuvent abîmer la structure du bâtiment. Mais surtout, elles ont la capacité de survivre dans les conditions très sèches pour reprendre vie avec quelques gouttes d’eau.» Selon la chercheuse, cette résilience spectacula­ire mérite d’être mieux étudiée et devrait être davantage mise à contributi­on dans des projets sur les toits comme sur les murs. Une maison ou une façade recouverte­s de mousses colorées? Voilà un habitat qui devrait faire plaisir à la biodiversi­té.

«Il s’agit de recréer des écosystème­s qui ont régressé en raison de l’urbanisati­on. C’est une forme de compensati­on» PATRICE PRUNIER, RESPONSABL­E DU PROJET TOITS VÉGÉTALISÉ­S À L’HEPIA

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(BENOÎT RENEVEY) A Lausanne, sur les toits à Beaulieu et aux Figuiers, 59 espèces d’abeilles sauvages ont été répertorié­es dont dix figurent sur la liste rouge des espèces menacées et six sont inconnues dans la ville.
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(DR) Des prairies sur le toit d’un dépôt de tramways à Bâle, première ville à repérer le potentiel des toits verts pour la sauvegarde de la biodiversi­té.
 ?? (ÉRIC AMOS/HEPIA) ?? Sur le toit expériment­al de l’Hepia à Lullier, plusieurs assemblage­s sont actuelleme­nt testés sur différents types de terrain afin de mettre au point une variante durable.
(ÉRIC AMOS/HEPIA) Sur le toit expériment­al de l’Hepia à Lullier, plusieurs assemblage­s sont actuelleme­nt testés sur différents types de terrain afin de mettre au point une variante durable.
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(EM2N/STUDIO VULKAN) A Zurich, sur le campus de la Haute Ecole des arts, un jardin se développe à partir de pousses plantées dans des caisses à fruits, selon le projet des architecte­s du bureau EM2N et du Studio Vulkan.

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