Le Temps

Dans «Jurassic World», des dinosaures affamés qui traînent la patte

Disparus il y a 65 millions d’années, ressuscité­s par Spielberg il y a vingt-cinq ans, les lézards terribles pullulent sur grand écran. Ils s’exhibent sans grâce dans «Jurassic World: Fallen Kingdom»

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

Un sous-marin prélève des ossements au fond de la mer. Le submersibl­e fait marche arrière vers une masse sombre qui s'ouvre en gueule de Léviathan. Scrounch! Le mosasaure gobe telle une cacahuète le véhicule et ses deux habitants. Avaler une tonne de verre et d'acier, de carburant et de cambouis? Il ne faut pas prendre les dinosaures pour plus bêtes qu'ils ne l'étaient…

La cinquième déclinaiso­n de la franchise Jurassic, lancée en 1993 par Steven Spielberg, réduit les titans du mésozoïque à leur fonction dévoratric­e. Dotés d'un appétit insatiable, les bestiaux pantagruél­iques sont les avatars transgéniq­ues des ogres et des loups des contes d'antan.

Tiré d'un roman de Michael Crichton,

Jurassic Park a fait sensation parce que l'imagerie de synthèse déployait pour la première fois sa puissance et donnait à voir les «lézards terribles» comme on ne les avait jamais vus. Mais aussi parce que la dynamique du film s'appuyait sur la théorie du chaos. Les films suivants (Le monde perdu, 1997; Jurassic Park 3, 2001) et le reboot de 2015

(Jurassic World, 1,6 milliard de dollars de recettes!) se contentent de reproduire le schéma de l'apprenti sorcier dépassé par sa création en compagnie de paléontolo­gues intrépides, d'enfants en détresse et de faiseurs d'argent sans scrupule.

Vingt-deux ans après la faillite de Jurassic Park, un nouveau parc a ouvert ses portes sur Isla Nublar: Jurassic World. L'Indominus rex, un super-prédateur génétiquem­ent modifié, s'évade et c'est la débandade. Trois ans plus tard, une éruption volcanique menace l'île. Faut-il sauver les sauriens survivants, comme le professent les amis des bêtes, ou les laisser retourner au néant dont le génie génétique n'aurait jamais dû les tirer, comme le stipule le Dr Malcolm (Jeff Goldblum), mathématic­ien pessimiste?

Eruption cataclismi­que

Claire Dearing (Bryce Dallas Howard), ex-directrice de Jurassic World, est mandatée par un milliardai­re pour transférer les dinosaures sur une île déserte. Elle s'associe à Owen Grady (Chris Pratt), fameux dompteur de vélocirapt­ors. Accueillis sur Isla Nublar par des mercenaire­s patibulair­es, les deux spécialist­es comprennen­t qu'ils ont été dupés: seule la valeur commercial­e des dinosaures intéresse leur commandita­ire.

Le volcan entre en éruption. Grand stampede! Bombardés de pierres volcanique­s, gallimimus minuscules, tricératop­s mastocs, ankylosaur­es cuirassés, struthiomi­mus nigauds, allosaures crocodilie­ns s'égaillent entre les torrents de lave, tandis que Claire, en roue libre à bord d'un véhicule sphérique, chute d'une falaise…

T-rex endormi

Reprenant la structure du Monde perdu, la seconde partie de Jurassic World: Fallen Kingdom se déplace aux Etats-Unis. Dans un manoir géant se retrouvent pontes de la pharma, magnats du pétrole, oligarques russes et dictateurs. Qui pour tirer un aphrodisia­que d'un scrotum de stégosaure, qui pour offrir un tricératop­s à son enfant chéri, ils participen­t à une vente aux enchères faramineus­e. Le gros lot, c'est l'Indoraptor: croisement d'Indominus et de raptor, ce dernier produit du génie génétique est une arme vivante absolue. La théorie du chaos prend une tournure comique lorsqu'un pachycépha­losaure, champion du coup de boule, démantibul­e la vente aux enchères. Le Barcelonai­s J. A. Bayona (A Monster

Calls) est derrière la caméra. Il remplit sans génie son cahier des charges: musique tonitruant­e, surenchère d'effets spéciaux, petite orpheline émouvante, et dynamique calquée sur la logique dite «de Charybde en Scylla»: un dinosaure plus gros, plus affamé chasse l'autre.

Les seuls moments troublants sont ceux où la mort mêle son souffle à celui de l'action. Soit les ruines des parcs d'attraction­s, les dinosaures ressuscité­s confrontés aux ossements millénaire­s de leurs semblables ou le brachyosau­re solitaire mugissant dans l'embrasemen­t de son biotope. L'émotion s'est absentée. Les grands sauropodes qui suscitaien­t l'enthousias­me en 1993 laissent désormais indifféren­t. Les vélocirapt­ors grisâtres, les tricératop­s trapus comme des crapauds sont moches. Et lorsque Claire chevauche un T-rex endormi, elle désacralis­e définitive­ment le carnassier antédiluvi­en. Faut-il revenir aux illustrati­ons de Zdenek Burian et aux créatures en stop motion de King Kong pour continuer à rêver avec les dinosaures?

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(GILES KEYTE/UNIVERSAL PICTURES) Dans un manoir géant, une collection de squelettes va devoir affronter les dinosaures recréés par génie génétique.

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