Le lobby de la chasse passe en force
Le Conseil des Etats soutient la proposition de pouvoir abattre certaines espèces suisses emblématiques et jusqu’alors protégées. C’est la stupeur à gauche et dans les milieux écologistes, qui annoncent d’ores et déjà un référendum
Au parlement, un bloc conservateur et montagnard veut simplifier le tir d’espèces protégées, comme le loup ou le lynx. Un vote populaire émotionnel se profile
Faut-il confier aux cantons le soin de «réguler» par des tirs les effectifs d’espèces aujourd’hui protégées comme le loup ou le lynx – mais aussi les castors, les cormorans ou les bouquetins? Le Conseil des Etats a répondu par l’affirmative en commençant mardi la révision de la loi fédérale sur la chasse. Désormais, les cantons pourraient procéder au tir d’animaux protégés sans devoir obtenir l’assentiment préalable de Berne. Ces décisions cantonales ne pourraient pas faire l’objet d’un recours. L’Office fédéral de l’environnement, jusqu’ici souverain en la matière, serait simplement «consulté».
Les lobbies de la chasse et de l’élevage, et leurs représentants au parlement – essentiellement des élus PDC et UDC des régions de montagne –, savourent ainsi un succès spectaculaire. Peut-être le plus marquant depuis le début de la croisade parlementaire contre le retour du loup en Suisse, qui dure depuis plus de vingt ans.
Mais l’euphorie des chasseurs et montagnards pourrait être de courte durée. Si le projet de loi passe l’écueil du Conseil national, les organisations de protection de l’environnement ont promis un référendum contre ce qu’elles appellent la «loi d’abattage». «Un référendum est pratiquement garanti», estime ainsi François Turrian, de Birdlife Suisse, qui se dit «confiant» en cas de votation. Le socialiste zurichois Daniel Jositsch a aussi prévenu les partisans de la loi révisée qu’ils devront affronter une votation – et qu’ils perdront.
Le nouveau texte prévoit pourtant des garde-fous: les régulations ne devront pas mettre en danger les effectifs de l’espèce concernée. Elles devront protéger des biotopes ou conserver la diversité des espèces, ou prévenir «un danger concret pour l’homme».
«Nos montagnes ne sont pas le Kenya des Zurichois et nous voulons les gérer nous-mêmes» STEFAN ENGLER (PDC/GR ET CHASSEUR)
Le Conseil des Etats a décidé ce mardi que les cantons pourraient désormais prévoir le tir d’animaux protégés sans plus devoir obtenir l’assentiment préalable de Berne. Les décisions cantonales y relatives ne pourraient en outre souffrir aucun recours. La révision de la loi soutenue par la Chambre haute, qui parle désormais de «régulation» et non plus seulement de tir d’animaux isolés, permettrait aux cantons concernés de «réguler» le loup comme ils l’entendent entre septembre et mars.
Préalablement protégés, lynx et castors pourraient également être tirés au besoin, et les périodes de protection du sanglier, du bouquetin et du cormoran seraient écourtées. Les espèces non indigènes, comme les daims ou les mouflons, pourraient par ailleurs être chassées toute l’année. Un référendum est d’ores et déjà annoncé.
Le débat au Conseil des Etats a vu s’affronter deux visions de la Suisse de demain: celle, résolument urbaine, socialiste et écologiste, qui salue le retour des grands prédateurs et place la biodiversité au premier plan, et celle du bloc bourgeois et des cantons alpins, qui défendent la pratique de la chasse et privilégient avant tout les intérêts des éleveurs. Tout a été résumé dans cette interaction entre deux sénateurs: «A Zurich, nous nous réjouissons que le loup revienne en Suisse et que les animaux sauvages ne se trouvent pas seulement au Kenya», dit Daniel Jositsch (PS/ZH). «Nos montagnes ne sont pas le Kenya des Zurichois et nous voulons les gérer nous-mêmes», rétorque Stefan Engler (PDC/GR), politicien – et chasseur – à l’origine de la motion derrière la révision de la loi.
La subsidiarité cantons-Confédération a alimenté le débat. Alors que la tendance est à la centralisation, l’administration fédérale a généreusement soutenu le transfert de la compétence de régulation des animaux sauvages aux cantons. «Parfaitement logique, selon Isidor Baumann (PDC/UR), en ville, ce sont les fientes de pigeons qui posent problème et c’est là-bas que le problème doit être résolu. Donnez-nous donc la compétence de réguler les loups nous-mêmes là où il y en a!» La conservation de la faune sauvage est cependant l’affaire de tous, lui a répondu Daniel Jositsch, «pas seulement des cantons de montagne». Ce sont pourtant bien ces derniers qui ont fini par imposer leur vue au Conseil des Etats, puisque le transfert décisionnel des tirs de régulation leur permettrait d’imposer leur vision des choses sur leur territoire.
C’est «sans surprise», mais avec une «grande déception» que les écologistes ont accueilli la décision du Conseil des Etats, que Pro Natura a qualifiée de «politique du XIXe siècle de suppression des nuisibles». Directeur adjoint de BirdLife Suisse, François Turrian enfonce le clou: «C’est l’ensemble du système de protection qui est jeté aux orties», dit-il, indiquant qu’un référendum est «pratiquement garanti».
A noter que plusieurs associations de défense de la biodiversité suisse ont à l’origine soutenu la motion déposée par Stefan Engler, dans l’espoir d’une révision de la loi sur la chasse qui leur serait favorable. Pour un résultat catastrophique: «La révision a ouvert la boîte de Pandore», reconnaît l’une des organisations.
Certains volatiles ont toutefois sauvé leurs plumes, puisque les sénateurs ont corrigé la copie du Conseil fédéral et banni la chasse de plusieurs espèces de canards sauvages, dont le fuligule milouin, la macreuse brune ou encore le canard chipeau. «Purement cosmétique, critique François Turrian, cela représente à peine 2,5% des oiseaux tirés en Suisse chaque année.» Les régulations des loups, lynx ou castors ne pourront également intervenir que «tant qu’elles ne mettent pas en danger les effectifs de l’espèce concernée et si elles sont nécessaires».
Un chasseur dans les Alpes grisonnes. Le débat aux Etats a mis en évidence un clivage villes/campagnes.
Doris Leuthard gagnée par la lassitude
La «prévention de dégâts» entre toutefois dans cette catégorie, ce qui permet des tirs provisionnels. «C’est extrêmement problématique», selon le conseiller aux Etats Robert Cramer (Verts/ GE), qui a annoncé le ralliement de son parti à un potentiel référendum.
Selon les dernières statistiques, a déclaré Robert Cramer, «il y a, dans tout le pays, 45 loups, 2 ours et 200 lynx». Cette information n’a pas échappé à Doris Leuthard, conseillère fédérale chargée de l’Environnement, qui, manifestement agacée par l’objet du jour, a souligné avec une pointe d’ironie qu’au vu des heures passées sur la question ces dernières années, «il apparaît que la Suisse a un problème massif avec ses grands prédateurs».
Les dégâts causés par ces derniers ne coûtent que 140 000 francs par année à la Confédération, a balayé la politicienne, qui a conclu qu’il existait «des problèmes plus importants». Elle devra prendre son mal en patience: le Conseil des Etats n’a pas pu traiter tous les articles de la loi et se réunira de nouveau la semaine prochaine, après quoi l’objet passera au Conseil national, puis, en cas de référendum, devant le peuple.
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«A Zurich, nous nous réjouissons que le loup revienne en Suisse et que les animaux sauvages ne se trouvent pas seulement au Kenya» DANIEL JOSITSCH, CONSEILLER AUX ÉTATS (PS/ZH)