Le Temps

Une femme et un cheval en quête de liberté

La sublime comédienne un peu fêlée Laetitia Dosch s’est fixé un nouveau défi. Un duo avec un pure race espagnole pour questionne­r l’humanité. Equité et liberté au programme de Vidy, jusqu’à samedi

- MARIE-PIERRE GENECAND

Au Théâtre de Vidy, la comédienne Laetitia Dosch présente «HATE», duo avec Corazon, un cheval espagnol. Un spectacle déroutant où les deux acteurs se cherchent, se parlent, s’ignorent, et qui questionne notre relation à l’autre, à l’animal.

On dit que c’est la plus noble conquête de l’homme. Sans doute, mais dans HATE, à l’affiche de Vidy-Lausanne depuis ce mardi, Laetitia Dosch abandonne toute idée de supériorit­é. Pas l’ombre d’un assaut dans ce duo entre une comédienne et un cheval, à moins que l’assaut soit amoureux… Car oui, au milieu de la soirée, l’artiste joliment fêlée annonce que le cheval est, pour elle, le partenaire idéal! Que les âmes sensibles se rassurent: aucune zoophilie dans cette création inédite réalisée avec la coach équestre Judith Zagury et le metteur en scène Yuval Rozman. Mais une tentative «de questionne­r la domination et la destructio­n liées à toute relation», résume l’actrice qui s’est fait connaître du grand public en incarnant la très touchante «Jeune femme» au cinéma.

L’autre, c’est elle

Laetitia Dosch est une drôle de fille. On l’a déjà écrit sur tous les tons depuis 2012, date de son premier spectacle en solitaire au Théâtre de l’Usine, à Genève. Dans ce solo barré, la belle farfouilla­it dans les plis humains en provoquant les spectateur­s avec des blagues suspectes, avant d’uriner sur scène, de se vautrer dans son pipi et d’aller embrasser qui vous voulez dans l’assemblée. Culotté.

Dans Un album, son deuxième one woman show créé trois ans après à l’Arsenic, la charge était moins frontale, mais la diplômée de la Manufactur­e manifestai­t de nouveau son goût pour une humanité secouée en incarnant un vaste panorama de possibles, du bébé hésitant à la grand-mère prostrée, du psy revêche à l’actrice survoltée. Façon Zouc, même puissance, même étrangeté. «Ces personnage­s cristallis­aient le désordre que je ressentais autour de moi. Je me suis attachée à un geste, une intonation pour révéler ce chaos, explique Laetitia Dosch sur la terrasse de Vidy. Dans HATE, c’est le cheval qui joue ce rôle de résonateur. Mieux, il propose des pistes et oblige chaque collaborat­eur à travailler plus finement et plus en profondeur.»

Corazon et les oeufs d’oiseaux

Visiblemen­t, Corazon, c’est son nom, a du talent. C’est que ce pure race espagnole âgé de 12 ans vit au quotidien dans un petit paradis, l’école-atelier Shanju, basée à Gimel, qui laisse les chevaux paître dans les pâturages et travaille avec eux selon la technique du renforceme­nt positif. «En général», explique Judith Zagury, une beauté sauvage face au lac, «le dressage classique agit par la contrainte, c’est-à-dire que le dresseur exerce une pression désagréabl­e sur le cheval tant qu’il n’a pas accompli ce qu’il souhaite.» L’école Shanju fait le contraire. Les coaches équestres attendent que le cheval adopte spontanéme­nt l’attitude souhaitée et le récompense­nt à ce moment-là, de sorte à ce que l’animal fixe naturellem­ent cette propositio­n.

Mais pourquoi avoir voulu travailler avec un cheval, Laetitia? «Parce que j’ai grandi dans un univers animalier, explique la comédienne. Mon grand-père collection­nait des oeufs d’oiseaux et clouait des animaux morts sur les parois. Et aussi, parce qu’il y a trois ans, j’ai tourné dans un western en Arizona et découvert, en apprenant à monter, que le cheval me calmait et me forçait à aller à l’essentiel.» Et encore, l’aventurièr­e dit qu’elle a tout à apprendre de ce rapport au présent. Judith Zagury abonde dans ce sens: «Dans sa huitième élégie, Rilke dit bien que l’animal a conscience de faire partie d’un Tout, qu’il est dans l’instant. C’est cette force tranquille dont se nourrit Laetitia pour interroger la complexité des relations humaines.»

La mélancolie souriante

Clair que Laetitia Dosch n’est pas que lumière. Il y a en elle une part sombre, mélancoliq­ue qu’elle exprimait parfaiteme­nt dans La maladie de la mort, de Duras, dont elle vient de tenir le rôle féminin sous la direction de Katie Mitchell. «J’ai parfois des colères violentes contre toutes les formes de domination. Celle de l’argent, de l’arrogance, mais aussi celle des hommes sur les femmes.» Toute la première partie du spectacle est consacrée à sa réflexion. «Devant une toile réaliste de paysage, je suis nue dans le sable rouge, à côté du cheval en stabulatio­n libre, et je raconte des souvenirs, des sensations, comment je vois l’époque aussi. J’incarne un personnage perdu qui se pose une foule de questions.»

Pour autant, HATE n’est pas déprimant, car la belle a beaucoup d’humour. Elle compose par exemple la voix du cheval et imagine entre eux un dialogue affectueux. «Laetitia, viens sous moi!» invite la bête. Et la comédienne de se tapir sous le cheval, qui devient un toit. «Parfois, souvent, Corazon se moque de moi. Les gens rient de cette inversion. Le cheval connaît le spectacle, mais s’il improvise une action inattendue, je me conforme à cette nouvelle direction.»

Comme l’actrice n’a peur de rien, elle essaie même «de faire l’amour avec Corazon». Mais, rassure-telle, de manière décalée. D’ailleurs, explique Judith Zagury, «le cheval ne bande pas forcément quand il a du désir. Il peut avoir une érection à tout moment de joie, indépendam­ment de la notion d’accoupleme­nt.» De la même manière, poursuit la coach équestre, si Corazon est un hongre, c’est-à-dire un cheval castré, c’est parce que les étalons – qui ne sont pas coupés – sont très malheureux, car ils sont trop agressifs et n’arrivent pas à s’adapter au troupeau de chevaux. Les castrer, c’est leur rendre leur capacité de socialisat­ion.

«J’ai parfois des colères violentes contre toutes les formes de domination» LAETITIA DOSCH, COMÉDIENNE

Réponse aux antispécis­tes

La vie de cheval est complexe. A propos, que répond Judith Zagury aux antispécis­tes qui reprochent l’utilisatio­n d’animaux sur une scène de théâtre? «Je suis moimême vegan et j’ai un rapport très doux aux animaux. Je les écoute, c’est eux qui dictent la marche du spectacle et les relations sont toujours à l’équilibre. On apprend d’eux, ils apprennent de nous et je pense que c’est ainsi, à travers cet échange équitable, que le monde peut évoluer.» Le caractère de Corazon? «Il est très sensible, très perfection­niste. S’il ne comprend pas quelque chose, il s’arrête et respire très fort, il est comme paralysé. C’est un cheval assez solitaire qui a un compagnon, Romero, qui va l’accompagne­r en tournée pour la trentaine de dates déjà agendées.» A sa manière, le cheval nous parle pour nous éclairer, postule HATE. A nous de l’écouter.

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 ?? (DOROTHÉE THÉBERT FILLIGER) ?? Laetitia Dosch et Corazon, le pure race espagnole qui est son partenaire dans le spectacle «HATE».
(DOROTHÉE THÉBERT FILLIGER) Laetitia Dosch et Corazon, le pure race espagnole qui est son partenaire dans le spectacle «HATE».

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