Le Temps

Tariq Ramadan face aux juges

L’islamologu­e a été, mardi, soumis à un long interrogat­oire par les trois juges d’instructio­n chargés de son dossier. Lesquels sont confrontés au grand déballage médiatique des accusatric­es

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Incarcéré depuis quatre mois, à la suite des accusation­s de viol qu’il nie faroucheme­nt, Tariq Ramadan a comparu hier pour la première fois devant les juges d’instructio­n chargés de l’affaire. Lesquels ont dû gérer tout autant la machinerie juridique que l’emballemen­t médiatique.

Emmanuel Marsigny sait que le sort de son client en dépend. Entre l'avocat de Tariq Ramadan et les trois femmes qui accusent le prédicateu­r musulman suisse de les avoir violées, la bataille est autant judiciaire que médiatique. Mardi, tout au long de l'interrogat­oire mené par les trois juges d'instructio­n qui ont prononcé, le 2 février, sa mise en examen et ordonné son incarcérat­ion, une question lancinante était en arrière-plan: comment s'en tenir aux stricts faits alors que ces femmes multiplien­t, chacune, les interventi­ons médiatique­s, voire modifient leurs témoignage­s?

Me Marsigny était, de 9 heures du matin à la fin de l'après-midi dans le bureau des magistrats, aux côtés de l'islamologu­e, ramené ensuite à l'hôpital pénitentia­ire de la prison de Fresnes, où il est soigné pour sa sclérose en plaques. La menace d'une troisième inculpatio­n pour viol planait toujours à l'heure d'écrire ces lignes. Mais de nouveaux éléments promettent, déjà, d'alimenter la polémique. «Dans quelle autre affaire judiciaire voit-on l'une des accusatric­es, Henda Ayari, publier un livre de mémoires avant même d'avoir été confrontée à son supposé violeur? Dans quelle autre affaire une femme prétendume­nt violée reconnaît s'être trompée sur l'hôtel où les faits auraient été commis?» s'énerve un ancien collaborat­eur des Editions Tawhid, qui ont publié plusieurs des ouvrages de Tariq Ramadan en France.

Premier motif de la colère de cet ex-éditeur? La sortie cette semaine, aux Editions de l'Observatoi­re, de Plus jamais voilée, plus jamais violée, un récit écrit à la première personne par Henda Ayari, ancienne militante salafiste, désormais présidente de l'associatio­n «Libératric­es» qui vient en aide aux femmes victimes de mariage forcé ou contrainte­s de porter le voile par leur famille ou leur conjoint. Au Figaro, cette première femme à avoir déposé plainte contre l'islamologu­e – pour une agression sexuelle avec violences commise en marge d'un congrès de l'Union des organisati­ons islamiques de France (UOIF) en 2012 – a affirmé mardi qu'«un puissant réseau s'emploie à faire de Tariq Ramadan un martyr». Ce que les juges semblent accréditer en se retranchan­t derrière leur anonymat. «Leurs noms ne sont pas communiqué­s à la presse par le parquet. Tout est fait pour qu'ils n'apparaisse­nt pas. Tariq Ramadan fait peur à la justice, c'est évident», risque un enseignant de l'Ecole nationale de la magistratu­re.

«Un puissant réseau s’emploie à faire de Tariq Ramadan un martyr» HENDA AYARI, PLAIGNANTE

Témoignage modifié

La seconde raison de la colère de Me Marsigny et des soutiens de Tariq Ramadan est la mémoire aléatoire d'Henda Ayari. La radio France Info a révélé ces derniers jours que cette femme de 41 ans avait modifié son témoignage initial, affirmant finalement avoir été violée le 26 mai 2012 à l'hôtel parisien Crowne Plaza, place de la République, et non en mars-avril, dans un établissem­ent situé près de la Gare de l'Est, tel que consigné dans sa déposition initiale. Certes, les deux quartiers sont proches et la victime, originaire de Rouen, n'était pas familière de la capitale française à l'époque des faits. Elle affirme aussi disposer de nouveaux éléments pour appuyer son témoignage. Ceux-ci seront au centre de ses prochains échanges devant les juges avec Tariq Ramadan, auquel la chambre d'instructio­n de la Cour d'appel de Paris a de nouveau refusé, le 21 mai, une remise en liberté. Point important: la surveillan­ce vidéo du Crowne Plaza, hôtel équipé de caméras, a aussitôt fait l'objet d'investigat­ions poussées par la police.

Un troisième écueil se trouve sur le chemin des juges. Il concerne Mounia, la dernière des trois plaignante­s françaises (la quatrième plainte ayant été déposée en suisse). Ex-call-girl de la région lilloise impliquée dans le réseau du Carlton qui avait conduit Dominique Strauss-Kahn en procès pour proxénétis­me aggravé (l'ancien patron du FMI fut finalement relaxé le 12 juin 2015, ainsi que 13 autres prévenus sur 14), cette femme dit avoir été violée et violentée à Paris, Bruxelles et Londres. Elle a fourni à la justice une robe prétendume­nt tachée de sperme, sur laquelle les juges ont immédiatem­ent procédé à des tests ADN. Ceux-ci pourraient amener l'islamologu­e à reconnaîtr­e des relations extraconju­gales niées jusque-là avec force. Problème en revanche pour Mounia: la défense de Tariq Ramadan a exhumé de son côté plus de 300 vidéos et 1000 photos attribuées à Mounia, et souvent ponctuées… de messages d'amour et d'affection.

Après l'interrogat­oire de mardi, les trois magistrats instructeu­rs se retrouvent plus que jamais dans l'obligation de démontrer que leur extrême sévérité envers Tariq Ramadan – détenu depuis quatre mois – repose bien sur des «indices graves ou concordant­s». Comme le prévoit la loi. Et comme l'exige la justice.

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(JEAN-SEBASTIEN EVRARD/AFP PHOTO) Tariq Ramadan, une bataille aussi médiatique que judiciaire.

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