Tariq Ramadan face aux juges
L’islamologue a été, mardi, soumis à un long interrogatoire par les trois juges d’instruction chargés de son dossier. Lesquels sont confrontés au grand déballage médiatique des accusatrices
Incarcéré depuis quatre mois, à la suite des accusations de viol qu’il nie farouchement, Tariq Ramadan a comparu hier pour la première fois devant les juges d’instruction chargés de l’affaire. Lesquels ont dû gérer tout autant la machinerie juridique que l’emballement médiatique.
Emmanuel Marsigny sait que le sort de son client en dépend. Entre l'avocat de Tariq Ramadan et les trois femmes qui accusent le prédicateur musulman suisse de les avoir violées, la bataille est autant judiciaire que médiatique. Mardi, tout au long de l'interrogatoire mené par les trois juges d'instruction qui ont prononcé, le 2 février, sa mise en examen et ordonné son incarcération, une question lancinante était en arrière-plan: comment s'en tenir aux stricts faits alors que ces femmes multiplient, chacune, les interventions médiatiques, voire modifient leurs témoignages?
Me Marsigny était, de 9 heures du matin à la fin de l'après-midi dans le bureau des magistrats, aux côtés de l'islamologue, ramené ensuite à l'hôpital pénitentiaire de la prison de Fresnes, où il est soigné pour sa sclérose en plaques. La menace d'une troisième inculpation pour viol planait toujours à l'heure d'écrire ces lignes. Mais de nouveaux éléments promettent, déjà, d'alimenter la polémique. «Dans quelle autre affaire judiciaire voit-on l'une des accusatrices, Henda Ayari, publier un livre de mémoires avant même d'avoir été confrontée à son supposé violeur? Dans quelle autre affaire une femme prétendument violée reconnaît s'être trompée sur l'hôtel où les faits auraient été commis?» s'énerve un ancien collaborateur des Editions Tawhid, qui ont publié plusieurs des ouvrages de Tariq Ramadan en France.
Premier motif de la colère de cet ex-éditeur? La sortie cette semaine, aux Editions de l'Observatoire, de Plus jamais voilée, plus jamais violée, un récit écrit à la première personne par Henda Ayari, ancienne militante salafiste, désormais présidente de l'association «Libératrices» qui vient en aide aux femmes victimes de mariage forcé ou contraintes de porter le voile par leur famille ou leur conjoint. Au Figaro, cette première femme à avoir déposé plainte contre l'islamologue – pour une agression sexuelle avec violences commise en marge d'un congrès de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) en 2012 – a affirmé mardi qu'«un puissant réseau s'emploie à faire de Tariq Ramadan un martyr». Ce que les juges semblent accréditer en se retranchant derrière leur anonymat. «Leurs noms ne sont pas communiqués à la presse par le parquet. Tout est fait pour qu'ils n'apparaissent pas. Tariq Ramadan fait peur à la justice, c'est évident», risque un enseignant de l'Ecole nationale de la magistrature.
«Un puissant réseau s’emploie à faire de Tariq Ramadan un martyr» HENDA AYARI, PLAIGNANTE
Témoignage modifié
La seconde raison de la colère de Me Marsigny et des soutiens de Tariq Ramadan est la mémoire aléatoire d'Henda Ayari. La radio France Info a révélé ces derniers jours que cette femme de 41 ans avait modifié son témoignage initial, affirmant finalement avoir été violée le 26 mai 2012 à l'hôtel parisien Crowne Plaza, place de la République, et non en mars-avril, dans un établissement situé près de la Gare de l'Est, tel que consigné dans sa déposition initiale. Certes, les deux quartiers sont proches et la victime, originaire de Rouen, n'était pas familière de la capitale française à l'époque des faits. Elle affirme aussi disposer de nouveaux éléments pour appuyer son témoignage. Ceux-ci seront au centre de ses prochains échanges devant les juges avec Tariq Ramadan, auquel la chambre d'instruction de la Cour d'appel de Paris a de nouveau refusé, le 21 mai, une remise en liberté. Point important: la surveillance vidéo du Crowne Plaza, hôtel équipé de caméras, a aussitôt fait l'objet d'investigations poussées par la police.
Un troisième écueil se trouve sur le chemin des juges. Il concerne Mounia, la dernière des trois plaignantes françaises (la quatrième plainte ayant été déposée en suisse). Ex-call-girl de la région lilloise impliquée dans le réseau du Carlton qui avait conduit Dominique Strauss-Kahn en procès pour proxénétisme aggravé (l'ancien patron du FMI fut finalement relaxé le 12 juin 2015, ainsi que 13 autres prévenus sur 14), cette femme dit avoir été violée et violentée à Paris, Bruxelles et Londres. Elle a fourni à la justice une robe prétendument tachée de sperme, sur laquelle les juges ont immédiatement procédé à des tests ADN. Ceux-ci pourraient amener l'islamologue à reconnaître des relations extraconjugales niées jusque-là avec force. Problème en revanche pour Mounia: la défense de Tariq Ramadan a exhumé de son côté plus de 300 vidéos et 1000 photos attribuées à Mounia, et souvent ponctuées… de messages d'amour et d'affection.
Après l'interrogatoire de mardi, les trois magistrats instructeurs se retrouvent plus que jamais dans l'obligation de démontrer que leur extrême sévérité envers Tariq Ramadan – détenu depuis quatre mois – repose bien sur des «indices graves ou concordants». Comme le prévoit la loi. Et comme l'exige la justice.
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