Le Temps

Suisse-Union européenne: un «reset» bloqué à zéro

- JEAN RUSSOTTO AVOCAT, BRUXELLES

Le climat entre la Suisse et l’UE s’est amélioré, c’est indéniable. Clarté des objectifs, communicat­ion transparen­te, dialogue positif et calendrier précis sont réunis. Le printemps européen déclenché par le reset a fonctionné. Les fantomatiq­ues «juges étrangers» et l’accord-cadre honni sont devenus, certes pas pour tous, des commodités presque homogénéis­ées. L’UE a démontré qu’elle était aussi capable de souplesse et, à juste titre, le fait savoir. Mais au-delà de cette paix euphorique, ce que sera la suite du dialogue inquiète.

La négociatio­n a débuté par la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends: comment définir, et tout compte fait limiter, le rôle de la Cour de justice de l’UE et sa prétendue omnipotenc­e hégémoniqu­e? L’instance arbitrale sur laquelle un accord a été trouvé n’est, dit-on, qu’une simple mécanique procédural­e, la partie la moins difficile, mais capitale. Même si le rôle de la Cour est démystifié, il est inconcevab­le que l’UE fasse abstractio­n du rôle et des compétence­s de sa plus haute juridictio­n. Substituer à la Cour un arbitrage indépendan­t est institutio­nnellement faisable, mais pas de n’importe quelle manière. Les récentes déclaratio­ns de M. Barnier à Lisbonne à propos du Brexit ne laissent planer aucun doute en ce qui concerne les pouvoirs de la Cour relatifs aux dispositio­ns qui émanent du droit communauta­ire. L’UE n’acceptera pas qu’une autre juridictio­n que la Cour, une fois le filtre du Tribunal arbitral passé, dise le droit. La Suisse le sait et l’accepte. Pour pimenter la discussion, l’UE solliciter­a certaineme­nt l’avis de la Cour sur cette constructi­on, avant toute signature d’un accord-cadre avec la Suisse.

Quant au coeur de la matière, celui qui devra faire l’objet d’un accord politique, il n’est pas mince car il est lié à l’accès au marché. Trois points principaux: d’abord, que faire de la position suisse, inscrite dans son mandat de négociatio­n, de veiller au respect des mesures d’accompagne­ment? Ainsi, la «règle des huit jours», destinée à éviter le dumping social représenté par les travailleu­rs UE détachés, peut-elle être assouplie? Une longue période de transition permettant à la Suisse de converger vers les règles européenne­s est envisageab­le. Ensuite, sera-t-on en mesure de diluer le principe de l’UE en matière d’aides étatiques interdites par l’UE, sauf autorisati­on préalable délivrée par la Commission européenne? Deux écueils de taille: la Suisse ne connaît pas le principe d’interdicti­on des aides étatiques. Limiter le champ d’applicatio­n du principe d‘interdicti­on de ces aides est possible, mais les modalités et exceptions sont complexes. De plus, une autorité de surveillan­ce autre que la Commission européenne est un casse-tête. Comment distiller un compromis satisfaisa­nt?

Enfin, l’UE souhaite un accord-cadre plus large que celui que veut la Suisse, limité à cinq accords. L’UE veut y ajouter l’accord de libre-échange de 1972, pilier de la relation économique entre les deux partenaire­s. Malaisé, quand, par exemple, on sait que l’article 23 dudit accord déclare incompatib­le toute aide publique qui fausse le commerce avec le bon fonctionne­ment de l’accord. La controvers­e sur les régimes fiscaux cantonaux continue à résonner. De plus, sans un accord institutio­nnel solide et étoffé, peut-on compter sur un renouvelle­ment de longue durée de l’équivalenc­e en matière boursière?

Une diplomatie intelligen­te fait parfois des prodiges – pour autant que l’UE se montre prête à d’autres concession­s, sans vider de leur substance les règles fondamenta­les inscrites dans les traités et la jurisprude­nce. A cela s’ajoute la frilosité des négociateu­rs européens, paralysés par les incertitud­es du Brexit, un décélérate­ur puissant dans la négociatio­n Suisse-UE.

Le temps passe et on ressent à Bruxelles que ces avancées pourraient n’être qu’éphémères. La fatigue et l’usure pointent; passé 2018, le vide s’installera­it et remettrait en cause des points fondamenta­ux à 2020, post-période électorale des deux côtés. Une débâcle? Certes pas. Une bonne nouvelle? Nullement, car un accès au marché de l’UE complet, sécurisé et pérenne demeure prioritair­e pour la Suisse. Mais il est loin d’être certain qu’il en soit de même pour l’UE. Une conclusion cette année exigera une volonté politique hors du commun et des aménagemen­ts juridiques inédits qui restent à tester.

La controvers­e sur les régimes fiscaux cantonaux continue à résonner

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