Le Temps

De Sané à Benzema, sacrifiés pour l’exemple

Plusieurs joueurs majeurs n’ont pas été retenus par leur sélection nationale pour la Coupe du monde 2018. Cela démontre que les qualités individuel­les sur un terrain ne suffisent pas toujours

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Radja Nainggolan ne participer­a pas à la Coupe du monde en Russie avec la Belgique, et il n’en revient pas: «C’était mon rêve d’enfant. Il m’est volé alors que je méritais qu’il se réalise.» Le milieu de terrain de la Roma n’est ni blessé, ni en méforme. Au contraire: son ancien sélectionn­eur national Marc Wilmots considère qu’il a été «l’un des trois meilleurs Diables rouges cette saison». Mais son successeur Roberto Martinez a néanmoins décidé de se passer de ses services.

Surprise similaire en Allemagne à l’annonce de la non-sélection de Leroy Sané (22 ans). L’ailier de Manchester City a été élu meilleur jeune de Premier League, il a marqué 14 buts et distribué 15 passes décisives cette saison, mais la Mannschaft de Joachim Löw fera sans lui en Russie. En Argentine, Jorge Sampaoli a lui recalé Mauro Icardi, pourtant auteur de 29 buts en 34 matches en Serie A avec l’Inter. En équipe de France, l’absence de Karim Benzema était plus prévisible – il n’a pas joué en bleu depuis octobre 2015 – mais elle aussi défie la logique sportive.

Ces sacrifices de talent ne sont pas des premières. En Suisse, les mises à l’écart d’Adrian Knup et d’Alain Sutter à l’approche de l’Euro 1996 par Arthur Jorge avaient aussi été accueillie­s avec une totale incompréhe­nsion. Les observateu­rs internatio­naux et les adeptes d’analyse statistiqu­e peuvent bien s’étrangler, mais un sélectionn­eur national choisit parfois délibéréme­nt de se priver d’un joueur majeur au nom de la cohérence de sa ligne de conduite ou de la cohésion de son groupe.

Une course d’endurance

A Lugano, la sélection suisse dévoilée lundi par Vladimir Petkovic ne comportait ni grande surprise ni injustice sportive flagrante, mais le «Mister» décrit parfaiteme­nt la réflexion qui peut conduire à l’éviction d’une vedette: «La liste n’est peut-être pas composée des 23 meilleures individual­ités, mais des joueurs qui se complètent le mieux et qui peuvent vivre ensemble sur une certaine durée.»

Tout particuliè­rement pour des formations comme la Belgique, l’Allemagne ou la France, qui se projettent objectivem­ent loin dans le tournoi, une Coupe du monde est une course d’endurance où la bonne cohabitati­on est primordial­e. Il faut évidemment réunir des footballeu­rs performant­s, mais il n’est pas moins nécessaire qu’ils puissent s’intégrer dans le projet collectif. En Argentine, la rumeur veut que Mauro Icardi ne soit pas de la fête faute d’une entente suffisamme­nt cordiale avec la star Lionel Messi.

En France, la présence de Karim Benzema prétériter­ait-elle la bonne entente des Bleus? Personne ne peut l’affirmer. Toujours est-il qu’il continue de faire les frais de son implicatio­n dans la triste «affaire de la sex-tape». «Quand elle est devenue médiatique en septembre 2015, il a fallu que l’équipe de France continue à bien vivre, à entretenir une dynamique de résultats avant l’Euro 2016, résumait dernièreme­nt le sélectionn­eur Didier Deschamps dans un entretien sur LCI. J’ai fait confiance à des joueurs qui ont répondu à mes attentes, sur le terrain et en dehors. Pourquoi je changerais?»

Décisions «impopulair­es»

De son côté, la non-sélection de Radja Nainggolan relève selon Roberto Martinez d’un «choix tactique». Il n’est toutefois pas déraisonna­ble de penser que les frasques à répétition du bad boy – qui se cache peu de fumer et de faire la fête – ont autant pesé dans la balance que les aptitudes du footballeu­r. «Je veux être jugé sur mes performanc­es, pas sur ce que je fais en dehors du terrain, implore-t-il. Parle-t-on différemme­nt de Maradona pour ce genre de choses?» Ses coéquipier­s Kevin De Bruyne, Eden Hazard ou Marouane Fellaini lui auraient témoigné leur solidarité, et plusieurs sondages indiquent que les fans de football en Belgique ne comprennen­t pas sa mise à l’écart, mais le sélectionn­eur est resté inflexible, affirmant que son travail consiste parfois à prendre des décisions «impopulair­es».

L’éviction de Leroy Sané paraît davantage liée au football: son excentrici­té sur l’aile, sa tendance à vouloir faire la différence seul tranche avec le projet d’une Mannschaft qui triomphe par son équilibre. Mais Joachim Löw le voit revenir en sélection rapidement, contrairem­ent à Karim Benzema, dont l’horizon en bleu reste bien bouché, et à Radja Nainggolan, qui vient d’annoncer sa retraite internatio­nale.

Dans tous ces cas, le sacrifice de talent a valeur d’exemple: il envoie le message clair qu’aucun footballeu­r n’est plus grand que l’équipe nationale. Mais pour le sélectionn­eur qui la prononce, l’éviction d’une star comporte le risque de devoir rendre des comptes en cas d’échec.

«La liste n’est peut-être pas composée des 23 meilleures individual­ités, mais des joueurs qui se complètent le mieux»

VLADIMIR PETKOVIC, SÉLECTIONN­EUR DE L’ÉQUIPE DE SUISSE

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