Le Temps

La Suisse à l’épreuve de la crise migratoire

Tenants d’un propre en ordre séculaire et zélateurs d’une hospitalit­é sans borne s’affrontent devant la caméra de Sabine Gisiger dans «Bienvenue en Suisse»

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«La Suisse est be-e-e-elle, comme il faut la chérir» (air connu). Il y a deux façons de la chérir, selon qu'on a le coeur à gauche ou à droite (pour schématise­r): en faire un havre de paix ouvert à tous les damnés de la terre ou une forteresse inexpugnab­le au sein de laquelle se perpétuent d'anciennes traditions tels les sonneurs de cloche, le secret bancaire et l'opulence verdoyante. La crise migratoire qui secoue la planète fait sur nos monts l'effet d'un bâton planté dans une fourmilièr­e. Sabine Gisiger (Guru – Bhagwan, His Secretary & His Bodyguard, Yalom’s Cure ou Friedrich Dürrenmatt

im Labyrinth) documente cette perturbati­on existentie­lle en se basant sur un exemple concret.

En 2015, Andreas Glarner, maire UDC d'Oberwil-Lieli (2000 habitants dont 300 millionnai­res), dans le canton d'Argovie, refuse d'héberger dix réfugiés. La commune rachète même la maison prévue pour leur accueil et la démolit. Les garants de la suissitude 24 carats montent au créneau, récitant leur catéchisme obsidional: «ils» vont abîmer la pureté de la Suisse, ce «pays phare», les gardes-frontières sont réduits à jouer les «comités d'accueil», les terroriste­s sont à nos portes, on sait où se trouve chaque veau du pays mais pas les clandestin­s, on doit sécuriser les frontières, avec du barbelé s'il le faut…

Face à cette levée de boucliers, des gens bien intentionn­és, comme Johanna Gündel avec le groupe IG Solidaritä­t, combattent la politique du repli et de la perpétuati­on des mythes. «La seule constante de l'univers, c'est le changement», rappelle la jeune femme. Andreas Garner dénonce les manipulati­ons de la presse et, histoire de prouver qu'il n'a rien contre les réfugiés tant qu'ils restent à l'écart de son jardin, va visiter un camp en Grèce. La Bible est citée par les deux camps, les uns rappelant qu'il faut aimer son prochain, les autres raillant la politique sociale de Simonetta Sommaruga en invoquant le TrèsHaut pour qu'Il lui «pardonne car elle ne sait pas ce qu'elle fait»…

Parole aux deux camps

Ponctué de documents d'archives qui, de l'Exposition nationale de 1939 à l'initiative de Schwarzenb­ach en 1970, rappellent de grandes heures du patriotism­e à croix blanche sur fond rouge, Bienvenue en Suisse se réclame d'une objectivit­é journalist­ique en donnant la parole aux deux camps. Pendant que le débat stagne, entre égoïsme buté des uns et altruisme angélique des autres, des initiative­s personnell­es, comme cette paysanne qui accueille une famille africaine dans sa ferme, permettent de débloquer certaines situations. A quelques reprises, un choeur mixte tient le rôle du choeur antique. Symbole d'intégratio­n sociale, l'ensemble vocal fait entendre toutes les voix, celles d'ici, celles d'ailleurs, en harmonie dans un répertoire puisant à des traditions variées.

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